Don Quichotte : figure type des fanatiques

La construction d’un psychisme
Don Quichotte (Cervantes, 1605) est, au départ, un quinquagénaire oisif. Son cerveau est imbibé et façonné par ses innombrables lectures de récits chevaleresques : honneur, justice, vertu, combat contre le mal. Il est soudain, pris d’une résolution quasi mystique : lutter contre un monde qu’il ne lui convient pas. C’est au nom de ce projet de lutte contre un monde imparfait, sans noblesse, qu’il se lance dans une aventure de purification du monde.
Le fonctionnement du cerveau
La soi-disant folie de Don Quichotte suit une logique interne : le refus de toute inhibition et le rejet de toute contrainte entre lui et son idéal. Le cerveau de Don Quichotte est le créateur de sa réalité personnelle, il nomme à sa manière les éléments qu’il rencontre (un troupeau de mouton devient une armée de soldats turcs, des moulins à vent deviennent des géants malfaisants …). Il projette ses acquis mentaux (figures de ses lectures, représentation du monde, valeurs morales …) sur son environnement.
La figure de l’initié
Don Quichotte est une des figures de l’initié sous l’emprise d’un idéal (Bernard Chouvier, Les fanatiques, 2009). Il se laisse mourir lorsqu’il s’aperçoit que son idéal est vain, que tout, autour de lui est définitivement plongé dans le monde qu’il rejette. Toutes les activités (visions, pensées, conduites) de Don Quichotte sont orientées par les prémisses de son idéologie chevaleresque : « Il faut lutter contre les méchants du monde », « Il faut se conduire comme un preux chevalier » … Cervantes nous le fait bien comprendre en faisant défiler la vraie réalité injuste de la société et en mettant en scène les réactions de son héros.
La création du personnage
Miguel de Cervantes était un aventurier. Obligé de fuir son pays pour une affaire de duel, il passa beaucoup de temps comme soldat dans les armées des chefs de guerre italiens. L’Italie, de cette époque, pays où les seigneurs locaux guerroient entre eux sans arrêt en louant les services des compagnies de guerriers professionnels. Il participa, entre autres expéditions, à la bataille de Lépante (1571) où il fut blessé à la main (d’où son surnom de « el manco de Lepanto »). Il faut ensuite capturé par les barbaresques, puis racheté par l’ordre des religieux catholiques des Trinitaires. Dans cette vie aventureuse
Cervantes a vu de près ce qu’étaient les condottières, fascinés par l’argent et la violence. Il a vu de près aussi les janissaires, ces soldats d’élite de l’armée ottomane. Un janissaire a d’abord été un jeune enfant européen chrétien capturé. Devenu esclave au service du sultan, il est durement endoctriné (50% de décès) pour devenir un expert de la guerre et un fanatique de l’Islam ayant un seul objectif : faire advenir l’Islam partout en anéantissant les mécréants. Ainsi, Cervantes a vu fonctionner des psychismes passionnels ayant une vision du monde spéciale et des idées fixes. La personnalité de Don Quichotte est construite sur ce modèle : une vision du monde bornée et des croyances obsessionnelles à mettre absolument en œuvre. C’est là une conception assez pathologique de la personnalité, mais elle a le mérite de combiner des éléments clés de la personnalité : des croyances, une interprétation du monde et des actions dérivées. Il est exceptionnel qu’un tel auteur, vivant à la fin du Moyen Âge et étant un aventurier et un guerrier, ait été si précis dans la construction de son personnage. C’est comme s’il avait lu les conseils de Karen Weiland (Construire des arcs narratifs de personnages, 2016, qui recommande bien, aux apprentis romanciers, pour rédiger la « fiche personnage » d’un roman de noter : « Quelle idée fausse du monde se fait votre personnage » et aussi « À quel mensonge croit votre personnage » et, « Quel est le but que poursuit votre personnage ». Avec ces axes, le personnage possède des bases solides pour se conduire dans le roman, de la même manière que Don Quichotte de la Mancha.
Les idéologues de notre temps
Dans le roman de Cervantes, Don Quichotte n’est pas pris au sérieux par ses contemporains. Il est moqué, et considéré comme un vieillard original est un peu fou. Il n’est d’ailleurs pas dangereux : charger des moulins à vent est plutôt rocambolesque et risible. De notre temps, il en va tout autrement avec les idéologues qui courent les rues, défilent, insultent, attaquent, incendient, menacent de mort … tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. On ne peut plus les prendre à la légère. Ils polluent le monde qu’ils veulent sauver.
Les wokistes
Pour Jean-François Braunstein (La religion woke, 2024) le wokisme est « une vague d’intolérance … qui vise à déconstruire tout l’héritage culturel d’un Occident accusé d’être systématiquement sexiste, raciste et colonialiste ». Ce philosophe parle précisément des « axiomes de la pensée wokes ». Exemples : « Le barbecue est viriliste », « les mathématiques sont racistes », « le sexe et le corps n’existent pas, seules nos consciences fabriquent le genre », « les genres sont fluides », « il faut se débarrasser de Newton, de Darwin et de Mendel », « la logique, c’est raciste », « le mal est dans la société », « il faut séparer les purs et les impurs » … Les wokistes pensent uniquement avec ces préceptes qui ont pour seul fondement une adhésion arbitraire de l’ordre de la foi. Cette « révélation » étant tout de même pilotée par des chocs émotionnels de leur biographie. Il s’agit d’une quasi-religion qui déclare l’existence d’un péché originel : le « privilège blanc ». Ce privilège blanc est à l’origine du saccage de la planète et nous mènera à la destruction du monde.
Les véganistes
Les véganistes voient notre société comme une société de sadiques persécuteurs des animaux (« des millions d’animaux sont sacrifiés, dans des conditions horribles, chaque jour. »). Au nom des valeurs humanistes (respect de la vie, souffrance animale), écologiques (les ruminants sont responsables de 14 % des gaz à effet de serre.), sanitaires (l’élevage et l’abattage favorisent la transmission des virus), ces militants se donnent le droit d’incendier des abattoirs, de détruire des élevages, d’attaquer des boucheries (« la viande, c'est du viol ») … Pour défendre la cause animale un collectif « Boucherie Abolition » dénonce la « zoocriminalité » et saccage quelques boucheries. Le président de la Confédération française de la boucherie alerte alors le ministère de l'Intérieur pour demander une protection policière. Sur le plateau de Thierry Ardisson, la porte-parole du collectif Boucherie Abolition, compare la consommation de viande à l'Holocauste. L'Animal Liberation Front (ALF), fondé en 1976, s'est fait connaître pour ses actions violentes dont la plus célèbre fut l'opération Bite Black, en 1991 qui consista en une série de raids incendiaires détruisant des élevages destinés à produire de la fourrure …
Les écologistes radicaux
Compte tenu de l’évolution culturelle de notre société, nous avons tous intégré des normes écologiques. Nous respectons des principes tels que : « il faut préserver la nature », « il ne faut pas jeter ses déchets n’importe où », « il faut ramasser ses détritus et ses sacs en plastiques après un pique-nique ». Nous sommes mécontents de voir des décharges sauvages le long des routes … Ces règles de vie font partie de nous et pilotent nos conduites sociales. Mais nous sommes loin d’être des écologistes radicaux adeptes de la « deep ecology ». Nous n’allons pas attaquer des sites pétroliers pour valider nos idées contrairement aux « vrais écologistes ». Comme pour le wokisme, il s’agit là d’une nouvelle religion (Christian Gérondeau, La religion écologiste, 2021). Cette religion possède son péché originel (la pollution faite par les hommes), ses auteurs bibliques (Anne Naess), ses rituels de purification (manifestations diverses avec chants et agitations de néocrucifix), ses apôtres évangélisateur (Greta Thunberg), ses actes de foi, c’est-à-dire ses axiomes de pensée, dont les plus importants sont : « il faut démanteler la civilisation industrielle qui pollue la planète », « l’homme n’a pas le droit d’exploiter les ressources de la nature » et « la réalisation de Soi doit se faire en harmonie avec la nature et non en pensant un bien-être technologique lié au progrès ». (Mathilde Ramadier, L’Écologie profonde, 2023). Pour les tenants de cette pensée écologique radicale, il faut donc passer à l’action pour arrêter le suicide collectif.
Conclusion
Nous sommes loin du gentil don quichottisme. Nous sommes dans les pathologies mentales des hommes de notre société. C’est bien la preuve que cette société va mal. Et ce ne sont pas ces personnes fanatisées qui vont la sauver.
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