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Une expérience d'incitation



Nous pensons toujours que nos conduites sont "libres" de toutes incitations extérieures. C'est un des mythes de notre société démocratique d'abondance. En effet, il existe de très nombreuses situations dans lesquelles nos conduites sont déterminées par des éléments de la situation dans laquelle nous sommes, éléments qui échappent totalement à notre contrôle. Je vais prendre un exemple précis qui démontre comment et pourquoi nos comportements peuvent être pilotés à notre insu.


1- Une conduite non-conformiste


J’ai connu un professeur d’Université qui, arrivant dans sa salle de cour, faisait enlever toutes les tables et les chaises, les faisait ranger le long des murs, et demandait à ses étudiants de s’allonger sur les coussins qu’il avait demandé d’apporter. Il concluait que « la communication passait mieux entre tous les étudiants et entre les étudiants et lui ».


Il est évident que, compte tenu du contexte normatif et spatial habituel des cours normaux à l’Université, un pareil dispositif pour son apport pédagogique (qui se voulait uniquement une maïeutique du savoir des étudiants), signifiait, pour tous et immédiatement, quelque chose du genre : « je suis contre les traditions, je ne veux pas être un prof. normal, je veux faire les cours à ma manière et je pense que l'on apprend beaucoup mieux en discutant et en s’affranchissant des règles … ». En effet, il est évident, et on le sait, qu'une manière d'être prend un sens dans le contexte immédiat dans lequel elle se déroule et, aussi et en même temps, prend un sens par rapport au contexte habituel dans lequel elle a lieu habituellement.


2- Les réactions induites


Les étudiants étaient, bien entendu, partagés quant à ces manières de faire :

1°) une minorité trouvait que « c’était formidable de travailler ainsi » ;

2°) une autre minorité pensait que « cela permettait de mieux se connaître et de discuter sérieusement, surtout après les cours »,

3°) une moitié pensait que : « ce n’était pas des cours et que l’on n’apprenait rien dans de telles discussions de salon où tout le monde pouvait donner ses propres analyses sans être contredit »,

4°) une autre minorité (des jeunes filles surtout), était exaspérée et pensait que "ce prof était un névrosé qui avait de graves problèmes avec l'exercice de l'autorité normale d'un enseignant". Par ailleurs, cette minorité était intervenue, par des plaintes, à tous les étages de l'organisation universitaire, pour que cet enseignant soit "neutralisé".


3- Les origines du sens : les enjeux de chacun dans la situation


Ces significations données par les étudiants à la forme du cours et aux attitudes du professeur, reflètent, les enjeux de travail et d’apprentissage des quatre sous-groupes. C'est, par rapport à ces enjeux que les significations trouvent leurs origines :


- le premier groupe avait comme enjeu essentiel d’échapper au cours traditionnel et de faire le moins possible d'effort,

- le deuxième groupe avait comme enjeu essentiel de lier connaissance avec leurs condisciples en profitant de la situation,

- le troisième groupe avait comme enjeu essentiel d’apprendre des choses nouvelles liées au programme annoncé et dont l’enseignant était normalement spécialiste et porteur.

- le dernier groupe minoritaire, non seulement voulait apprendre, mais était scandalisé par le fait que ce professeur ne tenait pas son rôle, n'assurait pas un enseignement véritable et trompait finalement tout le monde en ne faisant pas le type de cours que l'on attend d'un universitaire. Les étudiants de ce groupe étaient déstabilisés par cet enseignant qui ne tenait pas son rôle et son statut et, en conséquence, avaient des activités d'intervention visant à faire revenir les choses à la normale.


4- L'importance des attentes de rôles


J'ai fait alors réaliser une enquête qualitative par entretiens non directifs auprès de 300 étudiants d'Universités littéraires et scientifiques. Je vous résume les résultats obtenus. Un professeur doit :


1°) être sympathique : discute avec les étudiants, les reçoit, donne des conseils, tient compte de leurs demandes, est sensible à leurs efforts, comprend leurs difficultés s'ils travaillent en même temps, est sensible à leurs conditions de vie...


2°) savoir faire apprendre : transmet des savoirs et des compétences adaptées à son domaine, est soucieux des retombées professionnelles de ses enseignements, domine son domaine, est au fait des dernières avancées de sa science, est soucieux des résultats de ses enseignements...

3°) savoir intéresser : organise parfaitement ses cours, illustre ses cours, suscite des questions, débat en cours, fait des allers-retours avec les applications concrètes de ses cours, sait faire part de ses expériences personnelles, apprend à se servir de ce qu'il enseigne, prépare bien aux examens, montre des pistes professionnelles...

5- Les leçons de l'expérience


Cette expérience montre que dans chaque culture se créent des attentes assez précises envers les tenants des rôles sociaux. Les habitudes sociales font que l'on attend de quelqu'un qui a un rôle social et un statut social précis qu'il tienne son rôle "normal". Lorsque ce rôle n'est pas tenu, les partenaires de ce rôle sont incités à réagir diversement et réagissent en fonction de leurs propres enjeux personnels dans la situation.


En extrapolant les résultats rapportés ci-dessus, on peut dire que si, en tant que personne ayant un rôle et un statut socialement défini, vous ne tenez pas votre rôle et votre statut, vous provoquerez immanquablement des réactions chez les autres personnes en relation avec vous. Ces réactions seront diverses en fonction de leurs intérêts dans la situation. Mais quasiment aucune de ces réactions ne servira votre autorité et ne facilitera votre rôle. Les incitations que vous aurez créées iront dans des directions divergentes. A contrario, tenir son rôle et son statut en ayant des comportements "conformes", incite les autres à tenir leur propre rôle et leur propre statut.


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