Le sens de la vie
Une délibération largement absente
Peu de personnes se posent la question de savoir s’ils ont effectivement trouvé « le sens de leur vie ». Les diverses circonstances de leur existence les ont menés là où elles sont, à faire ce qu’elles font et la réalité quotidienne les focalisent sur leurs problèmes immédiats. Certaines personnes décident cependant, vers la quarantaine, de changer de vie, et ce disent-elles, pour retrouver leur personnalité profonde car elles ont l’impression de ne pas réaliser ce qu’elles devraient être en train de réaliser. Récupérer cet être profond et primitif qui cependant n’existe pas, puisque notre caractère constitutif est largement forgé au cours de notre maturation par nos expériences et qu’il se transforme en continu. Elles retrouvent seulement des situations positivement marquantes et des émotions attachantes de leurs histoire vécue. Tout cela dans une société individualiste de liberté, où la norme sociale absolue est de trouver sa propre voie et de se réaliser pleinement dans ce que l’on aime. Ceci est une évidence lorsque l’on pense à ce qu’étaient les destinées asservies de nos grands-parents à partir les choix limités qui s’offraient à eux avec les exigences économiques et familiales d’alors qui s’imposaient fortement. Les déçus de notre société devraient penser à comparer leurs facilités actuelles à celles d’alors.
Des loisirs formateurs
Une opportunité tout à fait remarquable nous est offerte par la télévision et la littérature pour comprendre comment advient chez une personne « le sens de la vie ». Des médias nous permettent désormais d’avoir des regards tout à fait intéressants et inusités sur la vie des gens et les moments forts de leurs existences. Les émissions de confidences directes telles que : « Un dimanche à la campagne » et les biographies fouillées, avec interviews des familiers, des éducateurs et des parents telles que dans « Elon Musk. L’enquête inédite » nous permettent de comprendre à quels moments la destinée de quelqu’un prend telle ou telle direction. Car, c’est une évidence qui saute aux yeux et à la réflexion lorsque l’on cumule les visionnages et les lectures. La superposition et la décantation des histoires de vie racontées par les protagonistes eux-mêmes ou par leurs biographes méticuleux, mettent en exergue des moments clés, accompagnés de personnes déterminantes et d’activités primordiales (des mots qui frappent, des phrases qui marquent). Ce sont ces moments clés qui solidifient la direction vitale.
Un échantillon exemplaire
Je prends un exemple, assez simple, pour faire comprendre ce que je veux dire. Tous les biographes de Louis XIV parlent d’une épreuve terrible traversée par le jeune roi lors de la Fronde (1648). Toute la noblesse se révolte contre, en particulier, la montée de l’autorité monarchique. Anne d’Autriche exerce la régence puisque le roi n’a que 12 ans. On sait que la quasi-totalité du pouvoir réside dans les mains du cardinal Mazarin que la noblesse déteste. Les troupes du prince de Gondi et de tous les Grands coalisés du royaume deviennent extrêmement menaçantes. Dans la nuit du 5 au 6 janvier 1649, la Cour, la Reine, le petit roi, Mazarin…, quittent le Louvre par une porte dérobée et s’enfuient au château de Saint-Germain.
« Trois heures du matin, la nuit du 5 au 6 janvier 1649. Dans le Palais-Royal endormi, le maréchal de Villeroy gouverneur de Louis XIV, réveille le jeune roi et son frère cadet. Sans un mot, il les habille à la lueur des torches. Les enfants, accompagnés de la reine-mère, gagnent une rue où les attend le cardinal Mazarin avec trois carrosses … Arrivés à destination, les fugitifs trouvent un château vide et délabré, sans feu ni meubles. Seuls, la reine, ses deux enfants, leur oncle Gaston d'Orléans et Mazarin peuvent dormir, grelottants, sur des lits de camp », (Geo.fr).
Le jeune Louis XIV passera là quelques nuits froides, inconfortables et étranges, dans l’angoisse provoquée par cette fuite, par la détresse évidente de sa mère (le 30 janvier 1649 le roi d'Angleterre Charles Ier est exécuté sur une décision du parlement anglais), angoisse renforcée par les préoccupations visibles du cardinal dont les armées combattent les frondeurs. Ce n’est qu’en mars et avril que des paix seront signées. Le jeune roi pourra faire son entrée à Paris le 18 aout. Ce moment : la vie recluse dans l’inconfort et les menaces existentielles pesant sur les siens, est pour les historiens, le point de fixation de la volonté de Louis XIV de maîtriser la noblesse et d’affirmer une puissance que personne ne pourra plus jamais lui contester. Le « sens de sa vie » et, donc de tous les objectifs qu’il se fixera, de toutes les décisions qu’il pourra prendre, de toutes les activités qu’il entreprendra…, a émergé à ce moment de son existence. Les historiens parlent « du traumatisme de la fronde » et de « l’humiliation » ressentie par le jeune souverain.
Pour le roi, « Une solution s'imposa : structurer la Cour, la mettre sous haute surveillance, et mieux encore, la fixer dans un lieu permanent. En 1682, il parvint à ses fins en l'installant à Versailles. Les nobles étaient dès lors sous bonne garde. Les cauchemars de son enfance étaient exorcisés... ». (Geo.fr)
« Le sens de la vie », c’est donc une sorte de conviction intime qui nous dit ce que l’on doit faire parce que c’est là que se trouve notre vérité. C’est un phare interne qui éclaire nos actions, nos pensées, nos décisions… qui ont de la valeur et qui, de ce fait, doivent être réalisées. C’est une injonction psychologique à être et à réaliser ce qui va dans une direction fixée. Ce projecteur mental signale les évidences bénéfiques (celles qui réjouissent) et rejette dans l’ombre ce qui n’est pas bien, pas sérieux, non sage, non utile, non moral, ce qui porterait atteinte à nos idées profondes et nous accablerait. On pourrait dire que c’est une motivation primordiale, ou encore, une croyance fondamentale. C’est le noyau d’une axiomatique personnelle qui dirige la vie. « « Le sens de la vie » c’est, comme le disait Alfred Adler, la clé du bien être personnel. Mais contrairement à ce que pensait Adler, ce bonheur propre n’est pas à trouver dans une intégration dans la communauté et dans la réalisation d’objectifs sociaux. Il est à trouver dans l’accomplissement d’une orientation de valeur personnelle.
Des conversations instructives
Dans l’émission « Un dimanche à la campagne », Frédéric Lopez fait parler de leur enfance trois personnalités médiatiques célèbres : chanteurs, animateurs, romanciers, humoristes, acteurs… Il les interroge d’abord devant une photo d’eux, jeune enfant, dans un grenier au milieu d’objets de leur enfance, puis il les fait parler autour de la préparation commune d’un repas. Le grenier, c’est le symbole des souvenirs enfouis et des émotions dissimulées. C’est aussi un endroit qui représente les secrets intimes et nostalgiques du passé. La préparation collective d’un repas renvoie à l’échange d’émotions, à la résolution de tensions par la communauté, c’est aussi le partage des inquiétudes et des sensations… Ces situations d’entretien sont donc propices aux confidences. Les invités de Frédéric Lopez jouent le jeu : ils évoquent leur enfance et les péripéties de leur existence. Cette émission est particulièrement réjouissante car on voit des personnes qui s’extraient de leurs conditions, qui résolvent leurs problèmes, qui traversent avec volonté leurs épreuves, qui ne cessent de se battre pour parfaire leurs dons toujours présents… et qui réussissent. Ce sont invariablement, au cours de ces séances, des leçons de courage et de travail dans une société ouverte qui offre des opportunités. Ce qui est aussi frappant, c’est qu’il y a toujours un instant dans les confidences où les interviewés font référence au moment précis et particulier qui a déterminé « le sens de leur vie ». C’est une phrase prononcée par un être cher qui révèle la voie à suivre ; c’est un lieu particulier traversé dans lequel on se dit : « c’est dans cet endroit que je veux vivre ma vie » ; c’est quelqu’un, saisi dans ses activités, qui provoque le : « je veux faire comme cela » ; c’est une réaction provoquée chez un être aimé par ses actions qui font conclure : « c’est comme ça qu’il me faut être » ; c’est la vision d’une situation qui déclenche le : « c’est dans un tel contexte que ma destinée s’accomplira » … Le surprenant, c’est que les interviewés ont parfaitement conscience de ce moment de leur vie. Un tel souvenir n’est pas enfoui. Il est raconté avec émotion et jubilation. Oui, ma vie, après des pérégrinations et des hésitations, a pris sens à ce moment-là, nous disent ces personnalités.
Conclusion
Alors, faites une vérification expérimentale : si (et seulement si), vous pensez vraiment avoir trouvé « le sens de votre vie », demandez-vous à quel moment ce sens vous est apparu. Il y a une situation particulière qui va surgir à votre mémoire. C’est la situation qui noue tous les fils de votre enfance et définit le sens de votre présence au monde.
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