Toute autorité possède donc normalement un positionnement « haut » par rapport à ceux qui la subissent. Celui qui détient l’autorité dans la situation possède la maîtrise d’une relation dissymétrique fondée sur le respect et l’accord et s’appuie toujours sur une ou plusieurs normes qui l’aident à exercer ses pressions. En général aussi, l’autorité a davantage d’expérience que celui qui la subit : c’est pour cela qu’il est normalement un sage capable de donner les conseils qui s’imposent.
L’autorité éducative
L’élève suit les indications du maître car, sur lui, pèse le positionnement supérieur du maître et la norme de l’apprentissage liée à la situation scolaire dans laquelle il se trouve. Par ailleurs, le maître manie la relation de dépendance de l’élève à travers sa possibilité toujours présente de jugement du travail et de l’apprentissage. La figure du sage est aussi liée au maître car le maître regardant de près le travail de l’élève comprend ses erreurs et devient capable de la conseiller pour mieux faire.
Rappelons à ce sujet les expériences d’Alfred Binet faites dans un contexte scolaire. Un adulte (le maître le plus souvent), montre à un enfant une feuille portant deux lignes parallèles et d’égale longueur. L’adulte demande alors à l’enfant : « quelle est la ligne la plus longue ? ». Binet constate alors que près de 90 % des enfants de 7 à 10 ans montrent une des deux lignes. Et Binet de conclure que l’enfance est un âge où l’on est « suggestible » (Alfred Binet, La suggestion, éd. Coste, 1900). C’est donc là l’erreur classique du « mentalisme » qui rapporte les phénomènes d’influence à un état particulier du psychisme au lieu de considérer les éléments extérieurs de pression.
La relation du maître à l’élève est normalement une relation de confiance : le maître est là pour lui apprendre des choses. Si le maître demande de choisir une ligne qui est plus longue que l’autre, c’est qu’il existe une telle ligne. Le maître est porteur de tout le prestige lié à la connaissance et à l’obligation de transmission que lui confère sa place dans l’institution scolaire et dans la société. L’élève, face au maître, n’est pas dans un état de suggestionnabilité ou dans un état psychique d’envoutement ou de réceptivité augmenté. Il est respectueux et, normalement, son enjeu est de montrer au maître qu’il fait ce qu’il faut : bien compter, bien lire, bien écrire et bien trouver une ligne plus longue.
L’autorité scientifique
Le scientifique détient une vérité qui a été prouvée par des expériences. En ce qui concerne son domaine sa parole se réfère donc à une norme de rationalité et d’objectivité qui ne doit pas être mise en doute. Les dires de l’autorité scientifiques sont respectés car ceux qui les reçoive sont en position inférieur et concluent que cette autorité a toutes les raisons d’affirmer ce qu’elle dit de par ses connaissances et son positionnement magistral. Le scientifique, de par ses connaissances, est capable de dénoncer les croyances erronées et les erreurs de jugement sur les phénomènes qu’il connait. Son savoir et sa position lui confère naturellement une figure de sage : il sera appelé pour donner les conseils qui s’imposent lorsque la société se trouvera confrontée à un problème qu’il connait.
L’effet placébo est à relier à l’autorité scientifique. Le placebo est un produit neutre que l'on donne à un malade en lui faisant croire que c'est un médicament actif. Selon les maladies et les malades – et surtout selon la force de conviction du prescripteur et la confiance que lui témoigne le malade – les placebos ont les mêmes effets que les médicaments actifs dans des proportions impressionnantes (de 50% à 90%).
Les spécialistes de l’influence de l’autorité citent une expérience américaine faite dans un hôpital pour démontrer que l’autorité met les personnes qui la subissent dans un état mental second de quasi décérébration. 22 infirmières travaillant la nuit reçoivent chacune un appel téléphonique d’un médecin appartenant à l’hôpital leur donnant l’instruction d’administrer à un malade un médicament puissant. 21 d’entre elles suivent les instructions téléphoniques alors que : 1°) elles ont la consigne de ne jamais prendre d’ordres au téléphone, 2°) que la dose prescrite du médicament est trop forte, 3°) que ce médicament est réputé dangereux. Pourquoi suivent elles les injonctions alors qu’elles ne sont certainement pas décérébrées ? Pour répondre aux pressions de la situation :
1°) par l’habitude de répondre aux commandements des médecins. Elles sont naturellement dans une relation de dépendance envers les médecins (norme d’obéissance) ;
2°) parce que le médecin hospitalier est hiérarchiquement un supérieur qui exerce des responsabilités fortes qu’il doit et va assumer (représentation de l’autorité hiérarchique) ;
3°) parce que le médecin a fait des études supérieures aux leurs et qu’il est censé bien connaître les médicaments et leurs effets (norme de scientificité) ;
4°) que la décision est, évidemment et surtout, prise pour le bien du malade. Ceci est d’autant plus indéniable que ce médicament est réputé dangereux (norme de la sauvegarde de la vie).
L’autorité hiérarchique
Si le hiérarchique est à cette place dans l’entreprise, c’est normalement qu’il a les compétences pour assumer les responsabilités qui vont avec sa position : il a plus de diplômes, il possède plus d’expérience, il détient une expertise … et, il est membre d’un réseau de hiérarchiques qui étaye la structure même de l’entreprise et qui renforce sa position. Si l’on suit et accepte ses décisions, c’est aussi parce qu’il a le droit de les énoncer et que la norme veut qu’on les suive puisqu’il en assume légalement la charge. Le « prestige » hiérarchique est donc lié à ces différents facteurs situationnels.
- « Je ne pense pas que le patron veuille cela ! », ou encore : « le patron a dit … », voilà des phrases choc qui relèvent aussi de « l’effet de prestige » lié à l’autorité hiérarchique ;
- lorsque le général en chef a tranché, toute la hiérarchie en dessous de lui s’engage dans les diverses charges qui incombent à chacun dans le plan stratégique arrêté. La réussite dépend alors en grande partie de l’engagement clairvoyant de tous dans la réalisation de sa partie de la manœuvre générale. Cette responsabilité collective vient renforcer la pression exercée par l’ordre donné et les missions sont exécutées avec ardeur. L’enjeu de tous est de réussir. C’est un enjeu vital. L’ordre est suivi essentiellement pour cela et non parce qu’il crée un « état psychique » de combattant perdant le sens critique et l’autonomie morale comme le prétend, par exemple, Philip Zimbardo dans son « effet Lucifer » (Stanford Prison Experiment, 2007).
L’autorité morale
L’autorité morale peut être définie comme la capacité d’une personne, d’un groupe ou d’une institution à influencer les comportements, les jugements ou les croyances d’autrui en raison de sa crédibilité éthique, de son intégrité ou de sa cohérence morale. Cette influence s’exerce en s’appuyant sur des normes et des idéaux se référant à des valeurs partagées par ceux qui acceptent cette forme d’autorité. La relation d’un sujet avec l’autorité morale est donc une relation de respect et d’adhésion. L’autorité morale, pour le simple citoyen est normalement placée au-dessus de lui. Les avis formulés apprécient les conduites par rapport aux normes et aux idéaux. Il est en permanence dans un rôle de juge et de censeur : c’est le rôle du « moraliste ».
- Ainsi, l’ONG « Médecins sans frontières » est fondée sur la norme d’engagement envers les souffrances de diverses populations et sur les normes d’humanité et de neutralité. Ainsi, au Soudan, en 2025, « Médecins sans frontières » détecte 100 000 cas suspects de choléra et plus de 2 470 décès recensés. Elle met en place des centres de traitement du choléra et apporte des soins à plus de 2 300 patients dans cette région. Lorsqu’elle appelle à une mobilisation internationale urgente pour éviter une catastrophe sanitaire plus grave, les États, les Associations …, ressentent une pression morale et cherchent les moyens de répondre à l’appel à l’aide pour montrer leur respect des valeurs interpellées ;
- Voici une expérience citée par Nicolas Guéguen (Manipulez et séduire, 2018). « Un des partenaires de l'expérience se tenait à côté d'une voiture en stationnement près d'un parcmètre et faisait semblant de chercher de la monnaie dans ses poches. Un deuxième compère se tenait debout à proximité du premier. Selon les cas, le deuxième était vêtu comme un mendiant, comme un cadre ou d'un uniforme de pompier. Il arrêtait un passant et, pointant son doigt dans la direction du premier compère, lui disait : « Cette personne est garée près du parcmètre et elle n'a pas de monnaie. Donnez-lui une pièce ». On imagine le caractère totalement abusif d'une telle demande. Les résultats ont montré que 82% des gens ont fait ce qui était demandé lorsque l'expérimentateur portait un uniforme de pompier ; 50 % lorsqu'il était vêtu comme un cadre et 44% lorsqu'il était vécu comme un mendiant. On a même observé que dans le cas du pompier, ceux qui n'ont pas donné se sont excusés de ne pas avoir de monnaie sur eux alors que dans les autres cas ils se sont plutôt montrés agressifs envers l'expérimentateur. » L’effet de l’uniforme est appelé « effet cravate ». Ceci fait référence à l’influence supposée du fait d’être bien habillé. La preuve en étant apportée par le faible résultat de l’injonction (44% au lieu de 82 %) lorsqu’elle est faite par un mendiant.
On peut proposer une tout autre interprétation de cette dernière l’expérience. Ce test concerne donc un homme « en uniforme ». C’est alors que l’on parle de l’influence du « prestige de l’uniforme ». Si on décortique cet « effet », on s’aperçoit qu’il prend sa source dans ce que représente cet uniforme (sa symbolique). Il représente une autorité morale sociale, car le pompier fait partie d’une corporation créée par la société pour défendre ses membres contre des épreuves dramatiques : incendie, accident, noyade, blessure, chute … Le pompier est porteur de la norme très honorable du « secours à son prochain ». C’est pour cela qu’il est respectable et que, dans l’expérience citée, les personnes lui confèrent une « autorité » (morale en l’occurrence). Nous tenons là l’essence du fameux « prestige de l’uniforme ». En effet, tout uniforme renvoie à une appartenance à un groupement social fondé par le corps social tout entier et porteur de normes sociales positives. Les chauffeurs de bus, les contrôleurs SNCF, les agents de sécurité, les surveillants de plage, les gardiens de parcs, les secouristes … et, bien entendu les gendarmes et les militaires, toutes ces personnes, porteuses d’un uniforme, représentent une entité supérieure respectable et, de plus, ils jouent un rôle de gardien d’une norme collective assurant un certain bien être des personnes dont ils ont l’encadrement. Si on les respecte et que l’on se place en position « basse » par rapport à eux, ce n’est pas directement à cause de leurs uniformes (effet prestige), mais à cause des normes sociales dont ils sont les représentants. Lorsqu’on est confronté à une autorité morale reconnue par nous, on est dans une sorte de relation de dépendance puisque l’on est attaché aux valeurs que représente cette autorité. On assume cette allégeance et tout manquement nous met mal à l’aise. C’est pour éviter ce sentiment pénible et pour être fier de faire valoir nos valeurs que l’on accepte la pression morale exercée.ures de l’autorité
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