L’axiomatique mentale du fanatisme
Le psychisme du malade mental
L’univers du malade mental est thématisé par une idée fixe. Ses conduites sont dirigées par un axiome principal de décodage de ce qui lui arrive. Cette idée de règle de vie incorporée au psychisme a été développée par de nombreux psychologues et psychiatres. Angélo Hesnard dans « L’univers morbide de la faute » (1949), montre comment l’idée de culpabilité gâche la vie de celui que l’on a sans arrêt accuser, critiqué, déprécié… dans son enfance et qui, en conséquence, sent que pèse sur lui des accusations constantes. Ludwig Binswanger, dans « Le cas Suzanne Urban » (1958), analyse le système d’axiomes existentiels qui régit la vie d’une malade schizophrénique. C’est encore Eugène Minkowski, qui dans son « Traité de psychopathologie » (1966), parle de la « structure phénoménologique » par laquelle s’exprime les convictions délirantes des malades mentaux. Les psychiatres de l’orientation phénoménologique parlent de « l’axiomatique du malade mental » Pour eux, le psychisme du malade se structure autour d’un certain nombre d’axiomes psychologiques. Voyons comment se façonne une telle axiomatique au cours des expériences de la vie.
Les étapes de la formation d’un fanatisme islamique
Une éducation islamique.
Un conditionnement religieux aboutit à façonner un réseau de croyances menant des individus adeptes de l’Islam à pratiquer des actes fanatiques : martyriser ceux qui ne respectent pas les préceptes, enfermer les femmes pêcheresses, couper la main de voleurs, tuer les impies… Une éducation islamique c’est, comme le dit Gérald Bronner, une « préparation cognitive » dans un marché restreint de principes (La pensée extrême, 2016). Après une telle éducation, les millions de fidèles musulmans ont intégré des règles de conduite telles que celle que rapporte Étienne Delarcher dans son enquête édifiante auprès de 70 imans de France (Au cœur de l’islam de France, 2024). Les adeptes de cette religion ont assimilé une série de croyances contenues dans les prêches répétitifs : « la femme n’a pas le droit de sortir sans la permission de l’homme », « la femme ne peut pas dire non, elle doit une obéissance obligatoire », « il est interdit de serre la main à une femme », « il faut couper la main d’un voleur, car la prison est une règle humaine qui ne dissuade pas assez »… Ces principes forment la base d’une axomatique.
Mais, un musulman pratiquant n’est pas encore un « islamique » dont l’idée essentielle, celle qui finit par envahir tout son psychisme, est de supprimer les incroyants. Un musulman pratiquant, bien que mal à l’aise dans notre société qui ne correspond pas aux préceptes de son culte, ne va pas encore assassiner son prochain non-croyant. « Le monde tel qu’il est (n’est pas encore) conçu comme une agression, cette agression de tous les instants qui autorise… tous les règlements de compte… de la part de ceux qui détiennent la vérité » (Gérald Bronner, La pensée extrême, 2016). Il faut trois conditions supplémentaires et un rêve concernant le futur pour que les commandements de la religion musulmane entrainent des passages à l’acte homicidaire.
Une famille perturbante.
Dans une famille musulmane il y a souvent diverses cohabitations qui perdurent : les fils mariés avec leurs parents, souvent la parentèle proche, les diverses femmes du mari, les enfants demi-frères ou demi-sœurs… Il y a surtout, en occident, le choc perpétuel avec la culture différente de la société ambiante. La modernité impacte l’éthique patriarcale et les rôles traditionnels et entraine de nombreux divorces. Beaucoup de pères sont désarçonnés et deviennent violents. De nombreuses familles sont ainsi perturbées. Bien que l’islam prône la fraternité et veuille éradiquer tous les facteurs de division, la complexité des relations affectives génère frustrations et jalousies. De nombreux petits enfants n’y trouvent pas leur compte et sont plutôt déstabilisés affectivement.
Un malaise ressenti.
Pour devenir un fanatique il faut, que le fidèle ressente un grand malaise existentiel. Sa position dans sa vie quotidienne doit être vécue comme de plus en plus insupportable. Dans sa famille, à lécole, dans son métier, dans tout son environnement, son identité doit être mise à mal. Il doit penser qu’il n’est pas reconnu à sa juste valeur. Il ne trouve pas sa place. Il en conçoit donc un fort ressentiment et il cherche les responsables de sa situation.
La rencontre d’imams et de mollahs radicaux.
Par ailleurs, l’idée évidente du passage à l’acte agressif s’acquiert lors des harangues spirituelles pleines d’injonctions religieuses des imams et des mollahs. Le prêche est essentiellement un discours qui va déterminer l’exaltation résolutoire. En effet, lors d’un prêche, tout ce qui est dit avec conviction extrême rencontre les croyances déjà là. Ces croyances se transforment alors en certitudes. Le fidèle est frappé par des aphorismes puissants, par des exemples imposants qu’il retiendra et qui focaliseront son imaginaire. C’est l’éloquence au service de convictions fortes qui fascine le fidèle. Il est emporté par le torrent des idées qui confortent toutes ses opinions. C’est la force des grands précheurs complètement investis dans leurs discours. Ils produisent un éblouissement, un genre d’hypnose qui submerge le fidèle et qui lui indique la voie à suivre pour être élue. Le système axiomatique du psychisme se renforce.
La visée du paradis.
Tout ceci, il ne faut pas l’oublier, avec en toile de fond permanente, un rève : c’est-à-dire la croyance fondamentale (un des piliers de la foi), inculquée par la religion, qu’il existe un paradis musulman pour ceux qui respectent les commandements du culte. Ce paradis est un endroit où « le Corps jouira des plaisirs physiques, verra de belles choses, goutera aux délicieux plats, fera l’amour sans relâche, ne souffrira plus de fatigue ou de maladie… et, comble de ces plaisirs, pourra voir son créateur » (Le paradis dans L’islam, voyage dans le paradis musulman, sur Internet). Cette situation future fantasmée est toujours présente dans l’esprit des fanatiques islamistes passant aux actes meurtriers. Que leur importe les conséquences terrestres de leurs actes.
Le cas de Mohammed Merah est exemplaire du processus de fabrication d’un fanatique religieux. On retrouve les quatre éléments fondamentaux de la formation du fanatisme, bien qu’ils soient entremêlés.
Une petite enfance psychologiquement perturbée.
Mohammed Merah passe son enfance à Toulouse dans la cité des Izards, au milieu de gens du voyage sédentarisés. Il grandit dans un climat de violence conjugale, Face à la brutalité de son père, en janvier 1992, la famille se réfugie dans un foyer éducatif. Après le divorce de ses parents son père s'installe à 500 mètres du domicile familial. Sa mère déménage pour le fuir avec ses frères et sœurs dans un appartement du centre ville. Sa mère, qui fait de nouvelles rencontres, le laisse des journées entières, seul à la maison. Les services sociaux s’inquiètent de son environnement familial violent et chaotique et, à l'âge de six ans, il est placé dans une famille d'accueil.
Un conditionnement religieux.
Son père est très pratiquant. Il lui inculque, dès son plus jeune âge, les préceptes du Coran. Sa soeur Souad et son frère Abdelkader seront des salafistes déterminés. Il reçoit une instruction religieuse dans une école coranique à Toulouse. Sa mère épouse en secondes noces Mohamed Essid, père du djihadiste Sabri Essid. Sabri Essid tient régulièrement un étal religieux au marché de Toulouse. Il y fait l’apologie de la vision rigoriste de l'Islam avec l'aide de Fabien Clain, djihadiste français de 10 ans l’ainé de Merah, djihadiste surnommé « la voix de Daech ». Mohamed Merah fait souvent référence au djihad et à la religion. Lorsque Mohamed Merah se retrouve en prison, son frère Abdelkader lui fait parvenir des CD et des livres sur la religion musulmane. En octobre 2006, a 18 ans, une fiche « S » le désigne comme « membre de la mouvance islamiste, radicale, susceptible de voyager et de fournir une assistance logistique à des militants intégristes ». Evidemment il acquiert la croyance au paradis qui attend les bons musulmans.
Malaises scolaire et social menant à la délinquance.
Mohamed Merah a une scolarité difficile marquée par des redoublements, des sanctions et des exclusions. À 14 ans le tribunal pour enfants le condamne pour violences volontaires sur ses camarades ; à 17 ans il est arrêté en possession d'une moto volée ; à 18 ans, il est poursuivi pour vol de portable avec violence et vol de scooter ; il organise des cambriolages ; blesse deux gendarmes lors d’une course poursuite après un vol. D'après Claude Guéant, « il a dans son casier judiciaire en 2012, dix-huit faits de violence à son actif parmi lesquels vols, recels, vols aggravés avec violence, outrages et conduite sans permis »… En échec scolaire, il intègre un CFA et prépare CAP de carrossier, il est ensuite embauché par un carrossier, il est licencié au bout d’un an.
Les rencontres avec des radicalisés du terrain.
À 23 ans, Mohamed Merah va au Pakistan et rencontre Abdul Aziz Ghazi, l’imam radical de la Mosquée rouge (mosquée sunnite d’Islamabad). Il se rend à Miranshah, et entre en relation avec Moez Garsallaoui, un islamiste radical tunisien époux de Malika El Aroud, veuve de l'un des meurtriers du commandant Massoud. Il est admis dans un camp d’entrainement et reçoit une formation au maniement des armes et au combat rapproché. Tous les groupes de djihadistes qu’il rencontre exercent nécessairement sur lui une emprise intellectuelle qui renforce ses convictions (Michel Monroy et Anne Fournier, La dérive sectaire, 1999). Il revient en France et en février 2012 se rend à Zavidovići en Bosnie pour écouter le prédicateur extrémiste Muhamed Ciftci. Ciftci a fondé une école islamique salafiste privée en Allemagne et a été accusée d’enseigner un islam qui promeut le terrorisme. Bien qu’il soit déjà largement radicalisé, Mohamed Merah recherche donc toujours des autorités islamiques pour fortifier ses croyances.
Passage aux actes meurtriers.
Le 11 mars 2012, Mohamed Merah assassine un militaire à Toulouse, le 15 mars, deux militaires à Montauban, le 19 mars, à Toulouse, devant un Lycée juif, il tue un enseignant et ses deux filles, la fille du directeur âgée de 8 ans, d’une balle dans la tête à bout portant, et un adolescent.
Le système cognitif en place chez le radicalisé islamique
Il comporte une série d’axiomes mis en place à travers les expériences biographiques. Ces principes sont du genre :
- la société occidentale est une société de mécréants,
- Dieu veut que je lutte contre ces mécréants,
- en accomplissant mon devoir de croyant, je gagne le paradis d’Allah,
- je dois donc tuer des mécréants.
Les programmes mentaux
La personnalité est une entité complexe. Elle se forme sous l’influence de multiples facteurs : des facteurs expérientiels, des facteurs environnementaux, culturels, psychologiques et, aussi, des facteurs biologiques comme des aptitudes innées et des potentialités intellectuelles et physiques. Des milliers d’ouvrages ont été écrits pour essayer de cerner les traits caractéristiques et le fonctionnement de la personnalité. La psychopathologie phénoménologique, utilisant des concepts comme la « vision du monde » et « l’axiomatiques des règles vie » d’un malade mental, est une approche qui permet de cerner au mieux les psychismes. Un meurtrier obsédé sexuel comme Landru ou un radicalisé islamique fanatique comme Mohamed Merah ont une totale parenté psychique : leur personnalité est envahie par un seul est même principe : il faut purifier le monde de ces gens-là (ces gens-là étant les riches veuves pour l’un, et les mécréants pour l’autre). On peut dire qu’ils ont un logiciel psychique simple, fonctionnant avec une règle exclusive. C’est un logiciel qui dicte leur conduite, mais c’est aussi un logiciel qui leur donne une vision déformée du monde : l’un repère préférentiellement les riches veuves, l’autre, les mécréants.
Chacun de ces détraqués mène, en parallèle à sa folie, une vie quotidienne qu’on peut qualifier de raisonnable. Autrement dit, « tout se passe comme si », il y avait deux niveaux dans leurs personnalités. Un niveau banal-quotidien et un mode aliéné sens-vital-de-la-vie. Le mode aliéné du logiciel et celui qui envahit leur existence vraiment significative et donc, les activités qui donnent le sens de leur vie. Le mode banal-quotidien fonctionne en back-office pour assurer la subsistance. D’ailleurs, les « personnalités multiples » ont été étudiées par les fondateurs de la psychologie (Janet, Binet, Freud…) comme le rappelle Jacqueline Carroy, dans « Les personnalités doubles et multiples » (1993). Les romanciers ont utilisé le filon comme dans le fameux roman de Robert Louis Stevenson : Dr Jekyll et Mr Hyde. On peut donc proposer un modèle « cognitif » de la personnalité. Le mental de la personnalité serait composé de plusieurs couches de programmes de conduites réglées sur des axiomatiques distinctes. Ce serait le cas pour les détraqués. Ils posséderaient deux ou trois programmes psychiques, mais l’un d’entre eux, le programme destructeur et meurtrier, prendrait très souvent la main sur les autres.
Notre société et notre environnement géopolitique fabriquent à profusion des détraqués à visée homicidaire. Si bien que notre société est mise à mal par ces psychopathes qui ne pensent qu’à réaliser leurs destructions mentalement enregistrées. Il est vital que nos démocraties occidentales trouvent les moyens de traiter ces ferments internes de démolition.
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