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L'erreur de Sigmund


L’état d’esprit causaliste est dans notre société une attitude mentale culturelle, profondément ancrée. Or, depuis longtemps on sait cependant que "l'on ne peut concevoir les choses que dans un ensemble de relations" (E. Kant). Il serait important pour la compréhension des phénomènes que nous apprenions à penser "système" et non plus causalité linéaire simple, en psychologie comme dans les autres domaines.


La fascination pour la psychanalyse


En Europe, 19éme siècle, les psychiatres énoncent que les malades mentaux souffrent de manière inconsciente de traumatismes passés vécus dans leur enfance. Inventée à l'époque, la psychanalyse se veut alors être une thérapie qui va traiter ces traumantismes en descendant dans les profondeurs du Moi des personnes et en révélant les perturbations de leurs désirs enfouis dans leur "Ça" et les blocages subis par l'instance d'un "Surmoi" déformé. Cette psychanalyse "consiste en l'élucidation de certains actes, pensées ou

symptômes en termes psychiques à partir du postulat de l'existence du déterminisme psychique : une idée qui se présente à l'esprit ou un acte ne sont pas arbitraires, ils ont un sens, une cause que l'exploration de l'inconscient permet de mettre au jour" (Wikipédia).


L'arrivée de la psychanalyse scande la fin du 19ème siècle avec l'arrivée en force de l'individualisme dans les rapports sociaux. Pour la psychanalyse, l'individu porte en lui même les germes et les développements de ses névroses, c'est-à-dire de ses conduites pathologiques. Les instances intérieurs à son psychisme (le ça, le moi et le surmoi), dysfonctionnent. En faisant prendre conscience aux malades des causes originelles de leurs traumatismes, la cure psychanalytique d'expectoration va ramener le calme et la norme dans le psychisme, et, par voie de conséquence, dans les comportements.


Tout à fait en parallèle, mais complètement masqué par la fascination exercée par les définitions données par la psychanalyse, se développe un courant totalement antagoniste, non pas centré sur l'intérieur de l'individu, mais centré sur tout ce qui se passe autour de lui et avec lui : le systémisme.


Une longue gestation de la notion de système d'interactions


L’approche des phénomènes par leurs relations est une orientation de pensée qui considère que les phénomènes ne peuvent exister en dehors d’un système de relations entretenu avec d’autres phénomènes de même nature. En ce sens, le systémisme est une banalité, déjà signalée par Kant (1724-1804) qui,disait que "l'on ne peut concevoir les choses que dans un ensemble de relations". Il faisait même de cette formule un a priori de la pensée humaine.


On peut aussi situer les origines modernes du systémisme dans les travaux de l’écologie de la fin du 19ème siècle. En 1866, Ernst Haeckel, définissait l'écologie comme "la sciences des relations des organismes avec le monde environnant, c'est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d'existence ». Les écologues posaient d'emblée

l'interaction entre l'organisme et les facteurs constitutifs de son milieu. Le « milieu » étant la partie d’un monde avec laquelle l’organisme est en contact et qui « induit » les réactions, les adaptations physiologiques et parfois même, morphologiques, de l'organisme. Ce milieu pouvant être « modifié en retour » par ce contact avec le vivant.


En 1934, G. H. Mead montre que le Moi n'existe que par et dans les interactions sociales et que le processus même de la pensée est de nature interactionniste puisqu'il trouve sa source dans l'aptitude progressive à adopter le point de vue d'autrui sur soi. Pour les psychosociologues comme Mead, l'interaction est une caractéristique différentielle des phénomènes humains.


Par ailleurs, les mathématiciens revendiquent le champ de la « systémique ». Ils ont été, disent-ils les premiers, avec les « systèmes d’équations », à « penser système ». D’ailleurs, lorsque l’on cherche à « systémique » sur le Web, on accède d’abord à des représentations mathématiques des systèmes d’équations. En 1936, D. Koenig publie son ouvrage : « La théorie des graphes ». Cette théorie permet de raisonner sur des schémas faits de flèches et de points à partir des représentations mathématiques que l’on peut donner de ces schémas.

En effet, un graphe G est défini par :

- ses variables ei, appartenant à l’ensemble E = (e1, e2, ..,.ei,...,en) les définissant,

- par les relations rij, qui existent entre chacune des variables ei et ej du système.

Ces relations appartiennent à l’ensemble : R = (r1,1, R1,2, ..., ri,j, ..., rm,n). Un graphe sera donc défini par deux ensembles E et R, ce qui s’écrit : G= (E,R). Ses représentations pourront être vectorielle, matricielle ou sous forme de schéma sagital. Les « calculs » se font facilement sur les vecteurs ou sur les matrices, et leurs résultats ont leurs correspondances en représentation sagitale.


Watzlawick, l’inventeur de la systémique des communications pense d'ailleurs que la notion d'interaction introduit dans les sciences humaines une « rupture épistémologique » comparable à celle que la notion de fonction a apportée dans les sciences mathématiques au XVIème siècle. Avec Viète (1591), dit-il, la pensée occidentale a dépassé la notion de nombre-grandeur, attribut indéfectible d’un objet, pour introduire le concept de « variable ». Une variable n'a pas, en elle-même, de signification, elle prend un sens dans sa relation à une autre variable.


En 1948, Norbert Wiener réunit en un domaine commun divers courants des sciences mathématiques et physiques. Wiener résout de façon efficace le problème du pointage automatique des canons antiaériens. Une « boucle de rétroaction » était ainsi faite et ce fut donc l’invention du fameux « feed-back » à l’origine de la notion de « causalité circulaire » et de l’introduction de la notion de « niveau d’analyse », responsable de l’opposition entre la définition d’un système finalisé ou d’un système à asservissement. Le modèle du canon asservi de Wiener, à la base de l’idée de « causalité circulaire », réfute donc toute analyse en termes de cause et d’effet simple et direct. Il est essentiel pour la compréhension de ce qu’est un « système ».


Dans les années 1960, R.D. Laing, dans le mouvement de l'antipsychiatrie a développé la « phénoménologie sociale » (Soi et les Autres, 1967). Pour lui, tout être, n'existe que par les relations qu'il entretient avec d'autres acteurs. Car « l'essence de l'être, de tous les êtres, est la relation qui existe entre eux ». A travers de nombreuses études cliniques il montre comment la famille et les couples parentaux fabriquent les maladies mentales de leurs enfants en les maintenant dans des systèmes de relations pathologiques.


Plus proche de nous, Eric Berne et son "analyse transactionnelle" s'intéresse à l'analyse des transactions, c'est-à-dire des successions stimuli-réponses dans les échanges sociaux (Des jeux et des hommes, 1975). Eric Berne garde encore l'organisation du psychisme en trois états mais cette approche transactionnelle s'efforce de découvrir l'organisation constante des chaînes d'échanges entre les individus. Car, dit-il, en surface, les échanges entre deux personnes qui interagissent souvent ensemble peuvent sembler fortuits, “mais un examen attentif montre qu'ils tendent à se conformer à des schémas précis..., la vie conjugale et familiale, tournent parfois, année après année autour de variations sur le même jeu.

On dit "jeu", non pas pour l'aspect ludique de l'interaction, mais parce que l'analyse d'un ensemble assez vaste d'échanges fait apparaître un "système d'interactions" où les échanges successifs apparaissent déterminés par des règles. Le système d'interaction ainsi repéré devient alors un jeu avec des règles du jeu permettant les coups à jouer. Sur le schéma ci-dessus, nous voyons le jeu du "sans toi", joué en permanence dans le couple des époux Dodakis.


Un coup décisif porté à la psychologie du 19ème siécle


Dans les années 80, arrivant des USA en Europe, les travaux de l'école de psychiatrie familiale de l'École de Palo Alto viennent définitivement valider l'idée que les Hommes existent et échangent dans et par des systèmes de relations.


Pour Watzlawick, la psychologie ancienne a en effet longtemps conçu l'esprit comme un ensemble de propriétés ou d'attributs dont un individu était plus ou moins bien doté (les fonctions psychiques : la mémoire, la perception, le retentissement émotionnel...). Cette psychologie classique a élaboré des concepts que l'on peut comparer au concept de grandeur des mathématiques d'antan. Il s'agit en effet d'entités qui ont une réalité sui generis et que l'on peut attribuer à des individus. Ces entités permettent d'expliquer le comportement des individus. « Des concepts comme « leadership », « dépendance », « extraversion » et « introversion », « maternage »... ont fait l'objet d'études approfondies. Ils ont fini par passer pour des pseudo-réalités en étant quasiment rendus objectifs.

Par exemple, le leadership, au début construction intellectuelle, est finalement devenu le « leadership », quantité mesurable de l'esprit humain, lui-même conçu comme un phénomène isolé. La révolution dans les sciences humaines, à l'instar de la révolution en mathématiques qui a fait passer les mathématiciens du concept de grandeur au concept de fonction, consiste à passer du concept de « fonction mentale » donnée au concept de « système de relations » qui crée un phénomène.


De nouvelles armes pour l'intervention


Un très grand nombre de problèmes que l’on rencontre dans les entreprises ne sont pas d’ordre technique mais d’ordre humain. Cet ordre humain, sous l'influence de la psychanalyse, avait tendance à être exclusivement rapporté à la psychologie personnelle des individus. Si cela ne marche pas, si cela dysfonctionne, c’est parce qu’untel est comme ceci ou comme cela. La tendance immédiate, culturellement apprise, est de chercher un coupable et de rapporter ses conduites à sa psychologie propre.


L’approche des problèmes par la systémique des relations a une toute autre conception des choses. Il faut bien dire que c’est ce qui fait la difficulté qu’elle a à être acceptée. Voilà plus d'un demi siècle qu’elle a été introduite par l’École de Palo Alto (Watzlawick, 1960), et elle est toujours très peu pratiquée et utilisée.


En systémique, si cela ne marche pas, ce n’est pas qu’untel ou untel soit « mauvais », c’est qu’il s’est mis en place, pour des raisons historiques sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir, un système de relations qui apporte avec lui tous les dysfonctionnements dont il est question. La responsabilité des dysfonctionnements est largement collective, même si les « chefs » y ont une plus grande part.


Du coup, les solutions ne peuvent porter sur un seul des éléments du système. Un technocrate qui aurait décidé que « tout le mal vient de là », a toute les chances de se tromper et de relancer un autre problème. Les solutions techniques et centrées sur les individus ne marchent pas, tout simplement parce que le sous-bassement des choses se situe ailleurs. La systémique des relations, sans prétendre déboucher sur la totalité de cette réalité complexe, permet tout simplement d’en saisir une partie suffisante. C’est pour cela qu’elle est utile lorsque l’on veut intervenir pour changer les choses.


Conclusion une révolution à poursuivre


La vision systémique et relationnel des phénomènes humains rompt fortement avec la vision classique de la causalité : un phénomène est « causé » par un phénomène qui le précède. L’état d’esprit « causaliste» est dans notre société une attitude mentale culturelle, profondément ancrée. C’est celle qui nous a été inculquée par toute notre éducation, toute notre scolarisation et qui continue d’être utilisée par tous les médias pour expliquer le monde.


Nous avons été, en effet, éduqués avec des conseils qui nous faisaient remarquer que nos actions avaient des conséquences et que nous étions directement responsable. Les actions de la vie quotidienne sont dites essentiellement régies par des lois causalistes. Cette attitude d’esprit a été largement reprise par les sciences humaines classiques (sociologie, psycho-sociologie, psychologie, histoire,...). C’est ainsi que les conduites sont rapportées soit à des « déterminants » sociologiques (classe d’âge, mode de vie,...), soit à des motivations psychologiques (désir de ceci, besoin de cela,...), soit à des attitudes ancrées en nous et façonnées par notre éducation et la culture ambiante...


Éduqué dans un tel état d’esprit, il est très difficile de concevoir qu’un phénomène humain ne puisse exister qu’en relation avec d’autres phénomènes humains de même nature, que ces phénomènes se tiennent les uns les autres, qu’ils forment un « système ». Il est très difficile de concevoir que tel phénomène ne « cause » plus directement tel autre phénomène, puisqu’il y a toujours des circularités d’interactions et des interactions qui proviennent d'un champ d'observation qui nous échappe... La révolution systémique est tous les jours remise en cause par la recherche des causalités immédiates et par un "cadrage" court des observations.

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