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Systémique (6)



Une crise d'adolescence


Une des formes de la crise d'adolescence est la rébellion contre les décisions et volontés des parents : l'adolescent refuse de se conformer aux demandes, fait le contraire de ce qu'on lui demande, ne range pas sa chambre, rentre à des heures indues, répond d'une manière impolie à ses parents, ne travaille pas pour le collège ou le Lycée mais reste des heures sur son portable, a des fréquentations douteuses dans la vie réelle comme sur internet, commence à se droguer, commet diverses dégradations dans l'espace public, provoque le voisinage... , bref, fait tout pour s'opposer à ce que les parents voudraient qu'il fasse et qu'il soit.


Le jeu de l'éducation refusée


Cette dernière remarque est capitale : il est dans un rôle d'opposition. Le jeu qui s'établit entre les parents (P) et l'adolescent (A) est donc un jeu de l'exigence refusée. À toutes les demandes explicites ou implicites des parents (flèche 1), l'adolescent répond par le refus et la réalisation du contraire (flèche 2). Car, si l'adolescent fait des actions d'opposition, il faut remarquer que les parents ne cessent de réitérer et de renforcer leurs exigences : ils punissent, ils crient, il renforcent les contraintes, ils menacent... Ce faisant, ils relancent sans cesse le jeu des interactions.


Le rôle du contexte


On trouve ce cas exposé dans Watzlawick, Weakland et Fisch (Changements. Paradoxes et psychothérapie, Seuil, 1975). Ces psychiatres nous proposent une manière non habituelle de traiter le problème. Ils partent du principe qu'il faut "recadrer les échanges". Recadrer, cela veut dire : changer le contexte du jeu (le mettre dans un autre cadre). En effet, si l'on change le contexte, les interactions vont changer de significations puisque toute action prend son sens dans le contexte de la situation (un "trou", par exemple, ne prend le sens de "trou" que par rapport au reste de la surface qui l'entoure et qui est nécessairement plane).


Dans le jeu d'interactions entre les parents et l'adolescent que nous venons de décrire, le contexte est un contexte que l'on pourrait appeler "un contexte d'éducation forcée et refusée". Il est entretenu, entre autres choses, par le rôle d'éducateur acharné des parents. Si ces parents changent de rôle, cela va entrainer le changement du contexte et les actions d'opposition de l'adolescent ne pourront plus avoir le sens d'actions d'opposition.


La prescription systémique


Après avoir longuement discuté avec les parents pour leur faire comprendre et accepter que tout ce qu'ils font actuellement ne peut avoir de prise sur leur adolescent, les psychiatres leur donnent alors les conseils suivants : abandonnez votre rôle d'éducateur moralement dominant, prenez un rôle tout à fait opposé : un rôle "d'indifférents et maladroits". Par exemple, dites à votre adolescent : "Nous voulons que tu rentres à 11 h. Mais si tu ne rentres pas, nous ne pouvons rien y faire". À 11 h toutes les portes et fenêtres seront verrouillées de l'intérieur et l'adolescent, arrivant à n'importe quelle heure plus tard, ne pourra rentrer. Il devra sonner et tambouriner longuement avant que tout ensommeillés vous veniez demander d'un voix tremblante qui sonne à cette heure et que vous lui ouvriez sans lui faire aucun reproche et en retournant vous coucher en titubant de sommeil... Le lendemain, il ne sera pas question de cet incident, aucun reproche ne doit être fait, ou bien, s'il en parle, vous vous excuserez de l'avoir fait attendre dehors... Par exemple encore, dans sa chambre en grand désordre bien entendu, avec des vêtements partout par terre (chambre qui ne doit surtout pas être rangée), la mère ou le père doivent commettre des maladresses qui les amènent, à renverser de la javel, du diluant, de la peinture, de la colle..., sur certaines affaires fétiches qui trainent... Ils devront, bien entendu, s'excuser fortement en disant que, fatigués, ils ont trébuché en voulant aller réparer ceci ou cela...


Bref, les conseils donnés aux parents de l'adolescent en révolte consistent à leur dire de trouver des situations nombreuses et constantes dans lesquelles, face aux actions condamnables de leur fils, ils seront permissifs, montreront de la faiblesse, des maladresses, du désarroi..., ils auront des réactions inappropriées, inadaptées, contraire à ce qui pourrait être attendu de parents éducateurs. Ils ne devront jamais chercher à prévenir l'arrivée de situations qu'ils redoutent. Bien entendu et surtout, il s'agit de jouer ce jeu le plus sincèrement possible. Il faut surtout éviter de paraître sarcastique et de montrer que l'on cherche à se venger. Il faudra bien tenir le coup et ne pas penser que réagir ainsi face à un adolescent non maîtrisable, c'est "être méchant". Il n'y a pas de méchanceté dans ce jeu, il y a la seule volonté cachée de trouver un moyen détourné de rendre responsable un fils qui prend le mauvais chemin. Il faut bien insister sur le fait que cette forme d'éducation doit rester tout à fait hors de l'intelligibilité de l'adolescent.


La manipulation du contexte



La prescription faite aux parents change leur rôle. De fait, elle change aussi le contexte des relations familiales. Les parents ne sont plus les dominants de la situation, ceux qui édictent les règles et doivent les faire respecter. Ils sont devenus "ceux qui ne sont pas à la hauteur et qui commettent bévue sur bévue". C'est désormais l'adolescent qui mène le jeu. Dans le nouveau contexte familial créé - contexte de "provocation (flèche 1) et d'inadaptation (flèche 2)"- les actions de rébellion de l'adolescent ne peuvent plus prendre le sens de rébellion. La rébellion est devenue inutile puisque les parents ne s'y opposent pas. L'adolescent ne peut plus défier aucune autorité puisqu'il rencontre en face de lui des indifférents qui sont faibles et craintifs. Les actions de l'adolescent prennent le sens de méchanceté gratuite, de maltraitance de parents dépassés (flèche 1). Il ne peut plus les réaliser de la même façon. Cette impossibilité va lui permettre une prise de conscience qui l'amènera à plus de responsabilité.


Un autre jeu analogue


L'exemple de l'adolescent rebelle cité par les spécialistes de l'intervention systémique est en relation avec un autre exemple qu'ils évoquent dans le même ouvrage : celui des enfants fugueurs.


Le fugueur, à travers sa fugue, dit quelque chose du genre : "j'ai des problèmes, je fuis". Les parents, évidemment se mettent à sa recherche. Par leur réaction ils disent : "nous sommes inquiets, on te recherche". Les fugues se répètent et les parents montrent toujours leur anxiété et leur volonté de retrouver leur enfant avant "qu'il ne soit trop tard", c'est-à-dire avant qu'il ne fasse "une grosse bêtise" ou qu'il "lui arrive quelque chose de désastreux". À travers ce jeu, s'il se répète sans fin, on pourrait dire que l'enfant dit : "je m'enfuis de la maison parce que j'ai des problèmes dont je ne peux parler et pour vous inquiéter et que vous me recherchiez". Les parents répondent : "on est inquiets, on ne veut pas que tu fasses des bêtises, on te recherche".


Le contexte est créé par les différents rôles rituellement joués : le rôle de provocateur de l'enfant, le rôle de coupable des parents.


Pour faire cesser les fugues, il convient, comme dans le cas du rebelle, de changer le contexte à travers un changement de rôle initialisé par les parents. Ceux-ci ne doivent plus attacher d'importance à la fugue et, donc, ne plus rechercher le fugueur. Cette absence manifeste d'inquiétude, manifestée autrefois à travers la recherche éperdue du fugueur, construit un contexte d'indifférence. Dans ce contexte, la fugue de l'enfant perd son sens de provocation. Elle devient pour les parents : "une conduite personnelle tout à fait possible, bien que peu compréhensible". Si l'enfant cherche à provoquer l'intérêt sur lui, il devra trouver une autre façon d'agir et, en tout cas, les fugues cesseront.


Thérapie réussie ?


Il semble donc, d'après les récits de Watzlawick, Weakland et Fisch que les adolescents rebelles ou fugueurs, soumis à un traitement parental de ce type, changent complètement leurs comportements, ne soient plus dans l'opposition systématique ou la recherche de l'attention mais deviennent plus responsables et attentifs aux autres.


Validation


Je suis très désireux d'avoir une nouvelle validation expérimentale des effets de cette thérapie. A ceux qui pourront la mettre en œuvre, je demande de bien vouloir m'en informer : alex.mucchielli@gmail.com.

Merci d'avance.

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