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Perte du sens de la vie, violences et société de frustrés


Dans votre milieu social ou professionnel, vous voulez réaliser un de vos désirs les plus chers. Vous vous heurtez aussitôt à des normes, à des contraintes diverses et aux volontés des autres... Mais, de nos jours, réaliser un de ses désirs est devenu beaucoup plus facile. La société, dans son ensemble, offre beaucoup plus de facilités qu'autrefois étant donné, d'abord, que l'on peut échapper à son milieu et migrer vers un autre champ social. Etant donné, ensuite, que la société et ses composantes sont moins rigides et présentent davantage d'interstices. Ce combat de l'individualité et du social est toujours présent et plus ou moins ressenti par chacun. Je vais illustrer ce combat en reprenant une célèbre biographie de la vie de Mozart écrite par le grand sociologue Norbert Elias.


La mort de Mozart


"Wolfgang Amadeus Mozart mourut en 1791, à l'âge de trente-cinq ans... Dans la période qui précéda sa mort, il fut proche du désespoir... Les deux sources auxquelles s'alimentait son appréciation de sa propre valeur et du sens de sa vie se tarissaient : l'amour d'une femme en qui il pût avoir confiance, pour lui-même et l'amour du public viennois, pour sa musique... Il éprouvait de plus en plus l'impression d'avoir perdu les deux... A ses yeux sa vie avait perdu de sa valeur, s'était vidée de son sens... Il mourut avec le sentiment d'avoir manqué son existence sociale...".


Ce qui compte pour Mozart


Voici donc comment débute l'ouvrage de Norbert Elias : "Mozart. Sociologie d'un génie". Pour Elias, les deux moteurs de la vie de Mozart ont disparu. Sa vie n'a plus de sens, il se laisse mourir. Travailler, produire, écrire de la musique, la jouer..., tout cela avait du sens si cela lui rapportait l'amour de sa femme Conztance et l'amour des viennois. N'ayant plus ces deux carburants, il ne lutte plus et se laisse mourir.


Une société bloquée qui anéantie la créativité


Nobert Elias est un des grands sociologues de notre temps. Son ouvrage : "Mozart. Sociologie d'un génie" (Le seuil, 1991), est paru après sa mort, en 1991. Dans cet ouvrage, Elias retrace la vie de Mozart en montrant comment la structure rigide de la société de cours des années 1750 ne lui a pas permis d'exprimer sa créativité et, finalement, l'a broyé.


Pour vivre en tant que musicien, Mozart était en effet obligé d'être au service d'un des princes allemands de l'époque. Salzbourg n'était qu'une principauté de second ordre et son Prince Archevêque, trop heureux d'avoir un pareil musicien à son service, l'humiliait cependant sans arrêt. Conscient de son potentiel, après les tournées européennes triomphales qu'il avait faites enfant avec son père, Mozart quitte ce Prince Archevêque en espérant être reconnu à Vienne et y avoir un poste fixe rémunérateur. Mais sa puissance créatrice innovante effraie les nobles, trop habitués aux canons fixes des musiques de divertissement ou de représentation, et ligue contre lui ses rivaux musiciens.

Á cette période, Mozart avait rompu avec le magistère éducatif de son père et il s'était marié contre l'avis de ce père dirigiste. A 35 ans, il se trouvait donc dans une situation critique : sa femme Conztance se détournait de lui et la société viennoise ne voulait pas de lui. Les deux seuls éléments qui avaient une importance capitale pour lui se dérobent donc et le laisse alors sans repère. Il ne lutte plus pour vivre.


Le sens de la vie : une interprétation personnelle


Les contraintes sociales et la volonté de Mozart de se faire aimer à la fois de sa femme et du public viennois ont construit de toute pièce des points d'ancrage personnels et tout à fait particuliers de sa vie, points d'ancrage par rapport auxquels il juge alors que sa vie n'a plus de sens.


Le sens : "cela ne vaut plus la peine" (parlant de sa vie), émerge donc pour lui lorsqu'il constate son état en regard de ces deux motivations majeures pour lui : se faire aimer à la fois de sa femme et du public viennois. Ce sont ces motivations absentes qui font apparaître le sens : " la vie qui ne vaut plus la peine d'être vécue".


Conclusion


Autrefois, dans la société, chacun avait sa place, de par sa naissance et son appartenance sociale de départ. La Révolution et les évolutions de la société font que désormais chacun cherche à exprimer sa personnalité à travers les interstices qui lui sont offerts dans une société plus ouverte. Chacun cherche à mettre en œuvre et à faire valoir les valeurs, les enjeux, les talents, les buts..., que les expériences de sa vie enfantine, familiale, éducative, sociale et culturelle ont imprimé en lui. Cette réalisation de soi est souvent possible à force de persévérance et d'efforts. Les efforts faits pour atteindre ce à quoi on aspire sont alors chargés de sens.


Dans de nombreux cas aussi, l'individu mal armé, se heurte à des forces qui le mène à l'échec. La réalisation de soi devient impossible. De nos jours, il n'est plus question de faire comme Mozart et de se laisser mourir. De nombreux contempteurs de la société ont fourni des arguments pour faciliter la mise en cause de cette société. L'échec personnel est donc imputé à la société. Il s'agit alors de la combattre et de combattre toutes ses formes d'expression : Etat, police, école, langue dominante, bâtiments publics, objets symboliques de consommation, personnalités en vue... La vie personnelle retrouve alors un sens dans l'attaque et la mise à mal de ces symboles. Comme cette violence est de plus en plus présente, on peut dire que notre société est de plus en plus une société de frustrés.

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