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Vers un univers de vie augmenté


La réalité augmentée


La réalité augmentée englobe la réalité tangible -celle que l'on perçoit directement avec les cinq sens- et un ensemble d'informations complémentaires arrivant en temps réel dans cette réalité tangible, informations en images, en graphiques, en chiffres ou en textes..., apportées à travers des écrans par des technologies informatiques de saisie et d'analyse de données cachées aux sens et cependant présentes dans la situation réelle.


En voiture, par exemple, la réalité augmentée dans laquelle peut se trouver le conducteur comprend un affichage sur le pare-brise d'informations qui ne sont pas déjà sur le tableau de bord : affichage d'indications sur l'adhérence des pneus à la chaussée, sur la présence à distance d'éventuels obstacles, sur la largeur de la route maintenant et dans quelques kilomètres, sur la densité du trafic dans les deux sens de circulation, sur la limitation des vitesses à respecter et sur la présence de radars de contrôle, sur le nombre d'accidents ayant eu lieu sur cette route, sur les lieux historiques auprès desquels la voiture passe (monuments, batailles, célébrités...), sur la distance à parcourir avant la prochaine station service ou avant le prochain garage de la marque de la voiture...


Nous avons tous désormais une petite expérience de ces données qui participent à notre "réalité augmentée". Nous avons des montres qui nous indiquent le nombre de calories que nous sommes en train de dépenser à travers notre activité, nous avons des détecteurs de radars routier sur notre tableau de bord, nous utilisons des codes barres pour lire des informations sur les ingrédients des aliments que nous achetons au supermarché, notre Smartphone nous indique le temps qu'il fera dans une ou deux heures, de même qu'il nous indique l'altitude à laquelle nous sommes et les plantes endémiques qui se trouvent sur notre chemin de randonnée...


Les activités en situation


Il est intéressant de constater que nos activités et nos décisions prennent en compte ces données complémentaires apportées par les outils informatiques dont nous disposons. Nous voyons bien que nous raisonnons avec ces données nouvelles. Mais nous avions oublié que nous faisons de même, tout à fait inconsciemment, avec les données de notre environnement réel et banal. L'utilisation de la réalité augmentée nous fait découvrir que nous pensons en interaction avec les objets du monde qui nous entoure. Ces objets nous envoient des informations et nous indiquent plus ou moins fortement ce que nous pouvons faire ou non.


C'est là la théorie de la cognition distribuée, développée par d'Edwin Hutchins (1995) (Cognition in the Wild). Ce chercheur a montré qu'une situation pour des personnes était constituée d'un ensemble d'éléments appelés "objets cognitifs", lesquels objets contenaient du savoir incorporé. Ce savoir peut être d'origine individuelle selon les expériences personnelles que l'on a faites de l'objet, mais ce savoir est le plus souvent culturel. Cette théorie a été reprise sous une autre forme par Richard Thaler, prix Nobel d'économie en 2017. Cet économiste a publié en 2009 : "Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision". Ses recherches concernent divers effets cognitifs des éléments d'une situation sur les conduites économiques des individus. La théorie du "nudge" mise au point est un concept des sciences du comportement qui démontre que des suggestions indirectes provenant d'éléments divers de la situation elle-même, peuvent influencer "en douceur" les motivations et les prises de décision des groupes et des individus. Pour résumer, ces "effets" sont des "inductions" de conduites.


Ainsi donc, les vieilles théories concernant nos actions fondées sur les désirs, les besoins et les motivations inscrites dans notre psychisme sont battues en brèche par ces nouvelles avancées scientifiques. Freud est définitivement mis au placard après que Michel Onfray -qui a lu en détail ses milliers de pages d'écrits- a démontré ses "affabulations" (Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne, Grasset, 2011).


Le travail en situation augmentée


L'entreprise augmentée des temps qui arrivent -dès demain matin- repose sur les multiples utilisations des systèmes informatiques, des algorithmes et des services en ligne. Pour les experts, les innovations apportées sont essentielles et conditionnent le développement économique des entreprises : "Dans un contexte de changement permanent, les organisations qui arriveront à mettre à profit les tendances technologiques auront l’opportunité de se transformer et de réinventer leurs produits et services" (rapport Deloitte, Tech Trends, 2016). Par delà ce credo économique assez évident, je voudrais montrer que les technologies nouvelles participant de "l'augmentation" de l'entreprise, peuvent être mises à profit pour un développement humaniste de l'univers de travail.


Le bureau augmenté à travers l'intelligence artificielle


Une conception de l'entreprise augmentée se préoccupe essentiellement des nouveaux outils digitaux qui transforment et enrichissent l'univers de travail du poste occupé par une personne.


Ainsi, un casque, des lunettes ou, plus prosaïquement, un écran, affichent, pour tel ou tel opérateur, des informations complémentaires et des analyses immédiates de son travail, dans le but de rendre ses opérations plus performantes. Le même outil digital qui renseigne cet opérateur et analyse en direct ses tâches lui restituera, au final, une évaluation des difficultés qu'il a rencontrées et participera, en conséquence, à sa formation (ce type de travail-formation existe déjà dans les technologies mécaniques de pointe, la maintenance ou le bâtiment (NASA, AIRBUS...).

Ainsi, une interface informatique, présentant un questionnaire que tel ou tel décideur renseigne, va être couplé à un algorithme expert qui va poser d'autres questions de précision et délivrera ensuite la décision à prendre ou le protocole à suivre (ce type de logiciel existe déjà dans les banques et autres institutions financières dont les services des impôts...).


Ainsi, un rédacteur (de compte-rendu, de rapport, de décision, de lettre, de communications techniques...), sera aidé par un logiciel d'intelligence artificielle, qui puisant dans le réservoir de data de l'intranet de son entreprise, lui proposera, selon son propos : des formules adaptables, un titrage pertinent, des schémas illustratifs adaptés, des passages d'autres textes, des conjonctions de coordination adaptées (ainsi, mais, car, de plus, en conséquence, donc, par ailleurs...) pour guider son raisonnement... (ce type de logiciel existe déjà dans les secrétariats, les service d'achat ou de vente...).


Dans cette optique, l'entreprise augmentée est une entreprise parfaitement digitalisée dans les process de travail utilisés. Les diverses tâches des salariés sont accompagnées et guidées par des outils digitaux spécifiques. Evidemment, l'intelligence artificielle constituée d'algorithmes perfectionnés est partout : dans la réalisation des tâches comme dans les groupes de travail ou les groupes projet (outils de collaboration pilotée). Ces outils font partie du nouvel environnement de travail créé qui, de ce fait, devient à la fois plus complexe et plus maîtrisable. Les personnels sont amenés à faire un important effort d'apprentissage pour maîtriser les outils qui leur rendront, ensuite, la vie plus facile (selon l'idéologie de la digitalisation). Les nouvelles machines à piloter sont, par ailleurs, rendues "intelligentes" grâce à l'incorporation de capteurs, d'analyseurs et toujours d'algorithmes reproduisant les réactions et décisions d'experts. Les pilotes humains de ces machines ont de nouvelles prouesses intellectuelles à réaliser. Normalement, libérés d'une attention et d'une réflexion subalternes, ils sont plus disponibles pour des travaux en groupe de créativité réfléchissant sur l'amélioration des outils informatiques dont ils disposent.


Cette "entreprise augmentée" est celle que semblent attendre les nouvelles générations qui, formées à StarCraft II, seront "capables d'effectuer 400 actions par minute" comme le prédit Idriss Aberkane ("Le Point", 2/11/2017). Et ne croyez pas que, sortant de son travail dans une telle entreprise, le collaborateur des années 2100 ira courir dans la forêt ou retrouver ses amis du club de foot, non, il allumera le bouton "vie perso" de son casque ou de ses lunettes connectés et reprendra sa partie de StarCraft200 avec ses compères chinois, brésiliens et néozélandais. Il aura donc entièrement une belle vie, totalement augmentée.


L'entreprise augmentée utilisant l'effet Flynn pour un développement personnel


L'entreprise augmentée peut prendre une autre forme. Certes, dans cette entreprise, toutes les tâches seront encadrées par des processus digitaux de guidage, d'analyse et de formation. Certes, dans cette entreprise, le top management aura été dans le sens des attentes des nouvelles générations en offrant des services liés à une vie personnelle dite épanouie : salle de sport et cours de méditation, café philosophique et autres rencontres culturelles, services personnalisés de conciergerie, culture des légumes sur les toits de l'entreprise... Mais, dans cette entreprise, les multiples logiciels, robots et interfaces informatiques seront aussi affectés à l'utilisation de l'effet Flynn.


Flynn est un chercheur néo-zélandais qui a constaté que la moyenne des scores obtenus aux tests d'intelligence augmente au cours du temps sur une population donnée. Il a démontré que le QI était donc en constante élévation d'une génération à l'autre. Pour lui, ceci montre l'importance pour la construction de nos capacités intellectuelles, de l'environnement immédiat dans lequel nous sommes. Ainsi, les générations nouvelles, bénéficiant d'un environnement intellectuel plus dense en informations et en sollicitations variées, sont plus stimulées et développent de meilleures capacités intellectuelles. En conséquence, pour rendre les gens plus performants (perspicaces, innovants, rationnels, adaptés, réfléchis, entreprenants, volontaires...), il s'agirait de les mettre dans un environnement intellectuellement stimulant, rempli d'instances avec lesquelles ils pourraient avoir des interactions positives.



Dans l'entreprise augmentée que je propose, des écrans et des tableaux informatiques sont installés un peu partout : à la cafétéria, dans les aires de repos, dans les lieux de passage, sur les panneaux d'information traditionnels..., mais aussi sur les lieux de travail, dans les open space et les bureaux. Des systèmes d’affichage permettent de manipuler des écrans tactiles géants (comme sur les panneaux d’affichage interactifs des galeries marchandes), de grandes tables numériques permettent de manipuler des documents numériques ; des écrans miroirs permettent d’afficher des informations en surimpression d'un process de décision, d'un process de travail, du fonctionnement d'une machine.... Voilà pour l'environnement purement matériel. Mais, bien entendu, ce qui est important ce sont les contenus accessibles à travers ces interfaces digitales.


Les contenus, conformément à ce que Flynn a découvert, sont des contenus qui "stimulent les capacités intellectuelles" des membres de l'entreprise. Cette stimulation pourrait être centrée sur des contenus externes aux préoccupations de l'entreprise : l'apprentissage des langues ou des mathématiques, la découverte de la géographie ou de l'histoire des pays... Mais ces stimulations et apprentissages sont à laisser aux institutions éducatives et aux systèmes dédiés à la formation. De mon point de vue, les contenus à offrir doivent stimuler l'intelligence appliquée au travail et à l'entreprise. C'est avec les idées que les collaborateurs de l'entreprise auront grâce à ces stimulations qu'ils participeront à la transformation continue de l'entreprise : transformation des méthodes et procédés de travail, transformation des méthodes de management, transformation des méthodes de gestion des ressources humaines, transformation, même, des outils digitaux utilisés dans le travail... C'est ainsi que les hommes reprendront la main sur les algorithmes omniprésents partout et que l'entreprise restera, d'une certaine manière, une "entreprise libérée ©". Comme le dit Nilofer Merchant cité dans le rapport Deloitte : « La culture est le moteur de l’innovation, et ce, peu importe ce que vous cherchez à accomplir au sein d’une entreprise, que ce soit sur des sujets innovants ou des activités récurrentes. Ce sont les personnes, les dirigeants et les idées qui au final apporteront les chiffres et résultats. »


Les contenus accessibles à travers les interfaces pourraient concerner : des vidéos de hauts dirigeants sur la philosophie du management, sur les règles de gestion des ressources humaines, sur les possibilités de carrière... ; des vidéos de managers de proximité, présentant les règles de travail dans leur équipe, leur conception du coaching et des entretiens de bilans... ; des vidéos de responsables de groupes de R&D présentant rapidement leurs avancées et découvertes ; de petits serious game consacrés à une problématique précise, à une compétence recherchée ; de courts articles et des tests interactifs (avec résultats commentés) sur de multiples sujets : "Comment repérer et développer mes talents ?", "Quels types de relations ai-je avec mon chef ?", "Comment favoriser la confiance avec mes partenaires ?", "Quelles sont mes habitudes d’échanges et comment les améliorer ?", "Quel est mon degré de stress au travail ?", "Dois-je changer de job ?", "Comment concilier mon travail et ma vie de famille ?" ; des résumés informatifs (reportages, flash info, courts débats, bandeaux de news...), centrés sur les problématiques des métiers de l'entreprise..., autant de sujets favorisant la réflexion et la maîtrise de soi. Ainsi, l’environnement digital n’est plus lié uniquement au travail sur un ordinateur ou au pilotage d'une machine informatisée. Il favorise la réflexion sur soi et ses relations au monde et, par ailleurs, il demande une profonde transformation du travail de l'équipe de communication interne de l'entreprise.


Conclusion


"L'augmentation" de l'espace de vie, du bureau, du lieu de travail, de l'entreprise... utilise toutes les ressources de l'informatique algorithmique et des accès en ligne à des contenus variés. Notre avenir digital est nécessairement lié à une forme "d'augmentation digitalisée" de notre l'univers de travail comme de notre univers de vie quotidien. Il nous faut remarquer que ces univers "augmentés" sont très accaparants. C'est ainsi qu'ils contribueront encore, avec tant d'autres facteurs, à l'individualisme ambiant, c'est-à-dire à l'enfermement de chacun dans une bulle isolée des interactions humaines non augmentées.

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