Manipulation, médias et déconstruction
La déconstruction permanente des discours politiques
Le président Emmanuel Macron donne une interview à l'hebdomadaire l'Express (n°3625 du 23 décembre, p. 23), en précisant que : "le moindre de ses discours est suivi de plusieurs heures de commentaires" et que : "cela c'est précisément un processus de déconstruction accélérée", processus menant qu'à la fin de la soirée les gens se demandent : qu'est-ce qu'il a finalement dit ?.
La déconstruction philosophique, Emmanuel Macron sait ce que c'est puisqu'il a été l'assistant du grand philosophe Paul Ricœur. Son analyse globale est pertinente et je voudrais préciser ici le terme de déconstruction et ses deux acceptions : une philosophique (qui est une reconstruction) et une commune (qui est une destruction), car dans les médias actuels, ce n'est pas la déconstruction constructive qui est utilisée mais la déconstruction destructive.
La déconstruction comme méthode philosophique positive
La déconstruction philosophique, proposée par Heidegger (1985), "est une opération intellectuelle ayant pour objet de démonter une tradition de pensée concernant un concept philosophique". Cette déconstruction doit accompagner toute approche phénoménologique laquelle approche a pour mission d'appréhender la réalité telle qu'elle se donne, à travers les phénomènes liés à l'expérience vécue de ceux-ci. C'est donc lié à une manière de rechercher une vérité philosophique (phénoménologique).
La déconstruction philosophique permet de revenir aux expériences originaires fondatrices de tel ou tel concept et de le ressaisir dans ses limites et sa problématique d'origine. Heidegger parle d'ailleurs de " remonter aux expériences originales dans lesquelles furent conquises les premières déterminations directrices de l'Être ". Cette opération de déconstruction doit donc permettre de se réapproprier des possibilités impensées ou oubliées du concept et d'entreprendre sa refondation sur des bases saines retrouvées. La déconstruction philosophique n'est donc pas une "destruction". C'est un travail intellectuel qui permet de "repenser", de "penser mieux", d'aller plus loin dans la réflexion et la définition des concepts.
La déconstruction négative des faits par les médias
Dans le langage commun utilisé dans les médias, la déconstruction n'est plus une déconstruction philosophique. C'est une déconstruction tout court. Elle a changé de sens : c'est désormais une opération de critique intellectuelle s'apparentant à une sorte de concassage d'une idée socialement partagée, d'un concept communément admis..., et de tout ce qui repose sur une compréhension sociale culturelle, pour aboutir à trouver une définition cachée, opposée et contradictoire avec ce qui était ordinairement admis.
Le concassage des idées réalisé par la déconstruction actuelle procède d'une option idéologique de départ : c'est l'idée que tout ce que qu'on nous propose ("on", c'est-à-dire : la société, la culture commune, les groupes majoritaires, les experts, les scientifiques, les paroles banales, les récits institutionnels ou venant des autorités...), tout cela est biaisé et faussé par des prémisses et des données de base enfouies derrière les propositions. Il convient donc d'abord de dénoncer la fausseté de la compréhension banale commune de ce qui est proposé ; il convient ensuite de proposer une nouvelle compréhension à l'opposé de ce qui est admis.
C'est ainsi qu'un vaccin, qui, dans la conception banalement acceptée est : "une préparation biologique prophylactique d'un ou de plusieurs antigènes microbiens, qui stimule le système immunitaire afin d'y développer une immunité protectrice et durable contre l'agent d'une maladie infectieuse particulière", devient : "une manipulation, orchestrée par des puissances occultes, qui vise à soumettre une population préalablement volontairement infectée par des opérations cachées. Cette manipulation consistant, à inoculer des puces électroniques qui permettront de suivre et de piloter à distance les personnes vaccinées...". La vérité cachée du vaccin est ainsi révélée.
La méthode de la déconstruction de l'idée de "vaccin", par exemple, est donc loin d'être une réflexion philosophique pour la recherche d'une vérité phénoménologique. La méthode utilisée par les médias (les réseaux sociaux, les chaines de télévision en continu, les radios....), est d'une mise en œuvre déconcertante de facilité : on met en discussion un ensemble de personnes n'ayant aucune compétence reconnue, et, chaque personne doit dire pourquoi le vaccin peut être une protection peu sûre (ceux qui pensent le contraire sont vite réduits au silence : ce sont des suppôts des autorités, ils ne savent pas "penser par eux-mêmes"). Toutes les paroles énoncées dans ces rencontres se valent, démocratie participative oblige. Chacun, pour paraître intelligent, invente donc une "bonne raison" de ne pas faire confiance au vaccin. Le concassage est terrible : vaccin trop vite mis au point (il faut 10 à 15 ans pour un bon vaccin), comment faire un vaccin pour une maladie que l'on ne connait pas assez, pas assez de recul sur sa sécurité, fiable à 92%, c'est seulement du marketing, effets secondaires inconnus, technologie nouvelle de manipulation génétique inquiétante, ARN messager incontrôlable, main mise de la Turquie à travers des scientifiques turcs qui auraient inventé le vaccin, conditions de transport et de conservation trop délicates, des annonces faites pour que certains jouent et gagnent en bourse, conditions d'achat louches, magouilles financières des Etats et de l'Europe avec les groupes pharmaceutiques, précipitation des organismes d'évaluation sur les autorisations d'utilisation, doutes émis par le professeur Machin (scientifique tout d'un coup accepté)... Bref, 40% des français annoncent qu'ils ne veulent pas se faire vacciner ! La destruction a opéré.
Le retour de méthodes de persuasion manipulatrices
Tous les journalistes, les chroniqueurs et les internautes ont oublié les expériences de manipulation des opinions réalisées en 1943, aux U.S.A. par le psychosociologue Kurt Lewin. Ils réinventent donc -intuitivement- une méthode de manipulation bien connue qui a été ensuite utilisée dans les camps de rééducation des pays totalitaires sur des groupes de prisonniers et de dissidents. Pour K. Lewin, il s'agissait d'amener les ménagères à consommer et à faire consommer dans leurs familles, les "bas morceaux" de viande de boucherie, c'est-à-dire les jarrets de veau, poitrine de bœuf, tendrons, abats divers et rognons. Cette consommation était culturellement dépréciée. Lewin mettait une douzaine de ménagères en groupe autour d'une table et lançait la discussion sur les manières connues d'accommoder ces "bas morceaux". Il orientait donc au départ la discussion. Il mettait dans le groupe une ou deux personnes qui avaient déjà cuisiné ces viandes et qui, se mêlant à la discussion, proposaient leurs recettes. La "dynamique de groupe aidant", (K. Lewin a inventé ce terme), chacune des participantes se remémorait une recette de telle grand-mère, de telle tante "vivant à la campagne"... et finalement le groupe tout entier s'accordait sur le fait qu'il existait d'excellentes recettes qui rendaient ces bas morceaux nobles et tout à fait consommables. C'était donc de la manipulation positive.
Regardez bien comment, dans de trop nombreux cas, procèdent les journalistes actuels de radio et de télévision : ils invitent de préférence des gens connus pour être des "opposants" en ce qui concerne le phénomène à étudier (sur les réseaux sociaux, ce sont d'ailleurs uniquement des opposants qui s'expriment). Ces personnes sont d'ailleurs beaucoup plus disponibles que les autres. Ceci, parce qu'en démocratie : "il faut donner la parole à tout le monde". Ils lancent la discussion en exprimant leurs doutes sur la compréhension banale du phénomène (le doute est l'expression de leur recherche de la vérité. Eux, ils sont au dessus des jugements communs) ; ils ne reprennent aucune personne qui énonce, à l'évidence, une contre-vérité (liberté d'expression oblige, ils ne veulent surtout pas être des "censeurs") ; ils ne synthétisent pas les arguments "pour" (s'il y en a) et les arguments "contre" qui sont à foison. Les discussions s'enchaînent sans qu'il y ait des pistes dégagées, des points faits, des résumés énoncés. (ils ne veulent pas animer réellement). La déconstruction destructrice s'opère donc : ce que l'on croyait au départ est remplacée par du brouillard. Qui dit brouillard, dit perte des points de repère. Qui dit perte des points de repère dans la vie des idées, dit prudence, recul puis, désengagement. Et c'est ainsi, entre autres manipulations, que les médias fabriquent un citoyen méfiant, critique et désengagé, laissant libre le champ des opinions pour les groupes minoritaires et activistes.
La désorientation collective
Au final, à la longue, c'est la vie sociale en collectivité qui est "déconstruite". On finit par penser qu'il faut abattre, casser..., tout ce qui est expression, production de cette société et tout ce qui la représente et la défend. Finalement, les Black Bloc et autres casseurs, n'ont pas si tort que cela. Ils représentent, en actes, notre propre ressentiment contre tout ce que les médias ont montré qui ne va pas. On espère illusoirement qu'ils secoueront le cocotier pour qu'il se restructure et on espère qu'ils nous feront sortir du brouillard dans lequel les réseaux sociaux et les médias nous ont mis. En attendant, retournons à notre jardin et laissons les minorités actives décider de notre avenir.
Réagir positivement
Nous devons résister à cette manipulation. Nous ne devons pas nous laisser abuser par une représentation fausse de la société et laisser le champ libre aux minorités destructrices de la démocratie qui prétendent nous révéler les vérités cachées. Il faut nous prémunir contre la manipulation des médias en dépistant leurs débats et commentaires biaisés. Notre jardin à cultiver, c'est un ensemble de choix positifs à faire : choix d'émissions de réelle information, de culture, de découverte, de voyage... ; choix de lectures enrichissantes et dynamisantes ; choix d'activités sociales et culturelles instructives intellectuellement et profitables physiquement... Bref, il nous faut échapper à la dictature sournoise des réseaux et des médias et recultiver le dialogue amical et de face à face avec nos semblables intéressants par leurs différences d'avec nous.
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