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Le peuple Corse, sa culture, son avenir


Lorsque l’on écrit : « la culture du peuple Corse » on pose trois énigmes. Qu’est-ce que la culture ? qu’est-ce qu’un peuple ? et qu’est-ce que la culture d’un peuple ? Je vais proposer quelques pistes de réflexion sur ces thèmes.

La culture


Quand je parle de la culture des Gauchos d’Argentine ou de la culture des banquiers de Wall Street je me représente bien les différences dans leurs manières de se représenter le monde, de vivre, de juger les choses et d’y réagir. Ces groupes d’Hommes sont d’abord de petites communautés qui ne vivent pas dans les mêmes situations et qui, en conséquence, ne rencontrent pas les mêmes problèmes pour exister et mettre en œuvre les finalités différentes de leurs destinées. On peut dire grossièrement que la culture d’une communauté, c’est ce qui définit sa représentation du monde et ses manières d’être-au-monde.

Un peuple


Quand je parle des Gauchos d’Argentine ou des banquiers de Wall Street, je parle de communautés restreintes. Ce ne sont pas tous les Argentins qui sont gauchos ni tous les New Yorkais, et a fortiori tous les Américains, qui sont banquiers. Les Argentins, en tant que peuple habitant le territoire de l’Argentine, ne sont pas tous de culture gaucho. Les habitants de Buenos Aires, par exemple, ont plus de points communs culturels avec les citadins des grandes métropoles occidentales qu’avec leurs compatriotes gauchos car les très grandes villes créent un environnement physique et humain particulier, analysé dès 1903 par Georges Simmel (Les grandes villes et la vie de l’esprit), qui génère des attitudes de mise à distance, d’intellectualisation, de compétition et d'agressivité. Le citadin occidental aurait une culture de raisonneur, un peu blasé de toute chose, tendu vers l’affirmation de lui-même et assez vindicatif.

La culture d’un peuple


Ainsi les habitants d’un même territoire ont des cultures influencées par leurs milieux et leurs modes de vie propres. Si l’on veut rechercher ce qu’il y a de commun dans leurs cultures, on est obligé de formuler des généralités en termes de valeurs, de croyances et d’habitudes de vie. Ainsi le peuple des Français de la métropole est décrit comme un archipel culturel par Jérôme Fourquet (L’archipel français, 2020). C’est à peine si l’on peut dire que les français de France continentale sont, en général, individualistes, critiques, réfractaires aux différentes « autorités » et aux choses imposées, non-croyants, à la recherche du bonheur matériel, attachés aux particularismes et doutant des bienfaits du progrès…

Les composantes du peuple Corse


Différentes communautés composent les habitants de ce territoire. Ces communautés sont variées et il n’est pas évident qu’elles aient la même culture. Dans ces communautés, on trouve celle des générations âgées ayant trimé sur place pour survivre dans un pays âpre et qui vivent plutôt dans les villages ; celle des retraités de retour au pays après une carrière sur le continent ; celle des affairistes ayant profité du boom du tourisme pour développer leurs réseaux d’activités financières immobilières ou autres plus litigieuses ; celle des artisans, commerçants et petits industriels des villes et villages bénéficiant du développement économique actuel pour essayer d’élargir leur assise entrepreneuriale ; celle des jeunes de 15 à 25 ans voulant absolument vivre dans une région qui n’offre pas de perspectives vraiment remarquables ; celle des très nombreux fonctionnaires d’Etat et des collectivités qui s’efforcent de remplir difficilement leurs missions face à une population peu coopérante ; celle des multiples héritiers et propriétaires terriens qui spéculent sur leurs parcelles et les vendent sans scrupules pour que s’érigent des résidences secondaires ; celle des éleveurs, agriculteurs et vignerons bataillant pour faire vivre leurs productions restreintes ; celle des groupes et sous-groupes politiques antagonistes et idéologisés se disputant publiquement et violemment sur toute décision à prendre ; celle des familles actuelles de la diaspora continentale revenant chaque été au pays dans leur maison de famille et se considérant, eux aussi, comme fondamentalement corses… Sans parler des communautés des ouvriers agricoles et du bâtiment, largement composées d’immigrés ou de descendants d’immigrés plutôt originaires du Maghreb ; sans parler de la coupure culturelle évidente entre les populations des villages touristiques du bord de mer et celle des villages à l’abandon de l’intérieur montagneux...

Comme pour les français de France, compte tenu de cet éclatement en diverses communautés, c’est à peine si l’on pourrait dire que les Corses sont, en général, centrés sur leurs problèmes spécifiques, réfractaires aux « autorités » et à tout règlement imposé, peu aptes à la recherche de consensus, portés à la dispute et à la violence, ayant le goût des armes, préoccupés de la poursuite du bonheur matériel et de son affichage social, attachés à leurs particularismes et doutant des bienfaits du progrès, de la démocratie et de l’intérêt du rattachement à la France… Il existe cependant une caractéristique spécifique de cette culture commune, nous allons la voir plus en détail ci-dessous : c’est un sentiment de blocage et d’enfermement avec une vision largement partagée d’une solution mythique dans une autonomie introuvable.

Quelques évolutions culturelles


Pour aborder la culture du peuple Corse, il est peut-être plus facile de comparer quelques éléments de la culture d’autrefois (celle des années 50) avec celle que l’on perçoit aujourd’hui.

Le goût de l’effort et de l’entraide

Qui n’est pas surpris, en se promenant un peu à l’intérieur de l’ile, de voir les nombreuses traces des anciennes activités agricoles ? Des murs en pierres sèches délimitent partout des terrasses de culture, des aires à battre le blé ou l’orge, des enclos à bêtes (cochons, moutons, chèvres), des clôtures protégeant leurs châtaigneraies et leurs jardins, des abris, des casettes à châtaignes, des chemins empierrés, des canalisations conduisant l’eau des torrents… Nos ainés n’avaient pas les machines actuelles : pelleteuses, bulldozers, foreuses, nacelles et grues… Ils réalisaient à la main, en communautés d’entraide villageoises et avec la force de leurs animaux de bât. Hommes et femmes ne s’arrêtaient jamais de travailler et assuraient ainsi leur autarcie alimentaire et plus d’ailleurs pour permettre à leurs enfants d’aller étudier pour assurer leur propre fierté à travers leur réussite (devenir fonctionnaire, médecin, professeur, ingénieur…).

Ce qui a changé désormais, ce n’est pas tant ce goût de l’effort, car je le vois encore partout chez les artisans, commerçants et petits industriels : c’est l’orientation de ces efforts. Il ne s’agit plus de faire sortir les biens de la nature et de la terre (activités du secteur primaire) ; la prospérité est attendue venant du commerce, des services au tourisme et des aides financières au développement (activités du secteur tertiaire). Mais ceci n’est pas caractéristique de la Corse tout en étant plus stressant dans un territoire montagneux, restreint et limité par la mer.

Le goût de la découverte du monde et de ses opportunités

Face à la prégnance de la famille, au triple enfermement (Marie Susini), dans le foyer, le village et l’ile, face aux exigences des pères sévères et des mères hyper-protectrices, les garçons et les filles des hameaux, des villages et des toutes petites villes d’alors rêvaient d’échappatoires lointains. L’armée, l’administration des colonies, la métropole et surtout ses grandes villes (Marseille, Paris…) offraient des refuges prometteurs aux jeunes ambitieux avides de saisir les occasions passant à proximité. D’autant plus que ces faux rebelles étaient toujours accueillis et cornaqués par un membre installé de la diaspora du village (un oncle qui ouvre une porte, qui pousse pour une embauche, un cousin qui s’entremet pour un logement…). Chacun des membres de la communauté s’efforçait alors, ensuite, de sa place conquise, de rendre des services à ses compatriotes ainsi exilés, mais retournant toujours au pays pour évoquer ou montrer leurs succès. C’est ainsi que les Corses ont colonisé et fait prospérer : l’administration, les instances politiques, l’armée, l’enseignement, les hôpitaux… de la France métropolitaine. Tout ceci n’étant d’ailleurs pas particulier aux Corses : que l’on pense aux Auvergnats, aux Bretons, aux Alsaciens ou aux Basques…

Ce qui a changé désormais pour les jeunes Corses, c’est d’abord que le poids affectif de la famille s’est renforcé : la dérive plutôt machiste des pères (qui est une réaction aux difficultés nouvelles qu’ils vivent) a appelé des réflexes défensifs chez leurs enfants, filles et garçons ; l’hyper-protection des mères s’est développé et retient beaucoup plus les jeunes au foyer. La vague culturelle du retour au pays et de la vie au pays a diffusé une vision négative du monde extérieur et de la métropole, foyer d’incivilités, de délinquance et de pollution. Ceci d’autant que la suppression du Service National ne fait plus découvrir les attraits possibles du monde extérieur aux jeunes garçons. En bref, les jeunes Corses veulent rester au pays. Et, comme je l’ai précédemment dit, le pays corse ne leur offre pas d’opportunités à la mesure de leurs attentes. Ce pays est un tout petit pays, sans industrie, sans agriculture digne de ce nom (des milliers d’hectares de bonne terre, autrefois grenier à blé de Rome, sont en jachère entre Aléria et Moriani dans la plaine orientale).

Une violence libératoire


Beaucoup de jeunes corses n’étant pas attirés par les postes offerts dans le tourisme et l’hôtellerie (des postes de « serviteurs »), vivent une situation totalement bouchée. Les violences extraordinaires dont ils ont été capables au milieu du mois de mars 2022 est, pour moi, l’expression désespérée de leur sentiment révolté d’enfermement. Ils ne peuvent pas s’en prendre à leurs familles qui leur donnent tant d’amour ; ils ne peuvent pas s’en prendre à leurs ainés qui ont laissé arriver cette situation depuis plus de 50 ans mais qui ne s’en sentent pas responsables ; ils ne peuvent pas s’en prendre à leurs élus rendus impuissants, étant donné leurs disputes et qui désignent d’autres fautifs ; ils ne peuvent pas s’en prendre à eux-mêmes qui craignent de faire leur chemin d’adulte en dehors de leur milieu protégé… Alors le bouc émissaire est tout trouvé : l’Etat français et ses représentants, incarnation locale de la clôture de la situation.

Pour les jeunes Corses, le prétexte de l’agression d’Yvan Colonna est un symbole extrêmement puissant :
- Yvan Colonna, c’est leur figure totalement identificatoire. C’est la figure du révolté face à l’enfermement mis en place par des puissances magistrales contre lesquelles on ne peut pas lutter (la famille, les ainés, les politiques…) ;
- Yvan Colonna, c’est celui qui, comme eux aussi, est étranglé et amené à une mort lente et inconsciente par une force sauvage, incontrôlable et rodant dans l’environnement immédiat et malsain (la situation économique, les violences créées par la situation sans issues, les mésententes politiques…) ;
- Yvan Colonna, c’est la métaphore même du ressenti de la jeunesse Corse : comme eux, c’est un idéaliste qu’on ne veut pas entendre, que l’on humilie sans respect pendant de longues années pénibles en dehors de ce que à quoi tous les autres ont eu droit (l’impossibilité de se plaindre, d’être entendu, d’être respecté, le triple enfermement, la situation injuste par rapport aux autres jeunesses…).

Conclusion


Le peuple Corse est d’abord, comme tous les peuples, un peuple pluriel, constitué de multiples communautés. Il est fracturé, comme tous les peuples désormais. Sa culture emprunte beaucoup de traits communs aux sous-cultures des communautés des pays occidentaux. Cependant son originalité tient dans l’attachement fort de ses composantes à leurs particularismes propres et divers. Ces particularismes sont actuellement agités désespérément comme des étendards voulant prouver que l’on a tout de même des libertés dans la situation globale ilienne largement cadenassée.

La Corse va bientôt se trouver face à elle-même, espérons-le. Ce sera donc aux acteurs corses (toutes communautés confondues) de construire leur avenir et de sortir de leur enfermement. « J’ai envie que la Corse avance… », « c’est la jeunesse qui va développer l’Ile et construire le pays de demain » (paroles de jeunes manifestants lors des émeutes de mars rapportées par Corse Matin).

Jeunes Corses, alors vous avez quelques pistes sur ce que vous pouvez faire :
- sortir des pièges affectifs ;
- s’ouvrir sans peur sur le monde ;
- revenir au pays avec des compétences fortes ;
- retrouver le goût ancestral de l’entraide ;
- vraiment exploiter durablement les ressources agricoles et touristiques de l’ile ;
- abandonner la recherche de boucs émissaires ;
- trouver d’autres voies que celle de la violence et des armes ;
- apprendre à rechercher des consensus ;
- …
À bon entendeur, salut.
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