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Communications reçues et identité


L’ensemble des communications que nous pouvons avoir avec nos partenaires contribue fondamentalement à notre identité, que ces échanges soient situés au niveau relationnel ou au niveau du contenu intellectuel de l’échange. Toute identité requiert l’existence d’un autre : de quelqu’un d’autre, dans une relation grâce à laquelle s’actualise l’identité du soi » (Ronald Laing, Soi et les autres,1961). Erickson remarque que l’identité d’un enfant se construit en rapport avec les communications que nouent les partenaires de cet enfant avec lui (Eric Erickson, Adolescence et crise : la quête de l’identité, 1968).

 

Identité pathologique


C’est Laing qui a étudié le plus précisément comment se construisait cette identité. À travers chacune de ses relations avec sa mère et, plus généralement à travers les relations avec sa famille, l’enfant reçoit une « définition » de lui qu’il lui est difficile de rejeter du fait de la puissance de la relation affective et de sa dépendance. « Une relation entre deux personnes peut être si puissante que l’une devient ce que l’autre entend qu’elle soit. Nul besoin de parler : il suffit d’un regard, d’un contact, d’une toux. Ce qui en résulte équivaut à un ordre qui sera implicitement suivi » (R. Laing, La politique de la famille,1969). L’identité des malades mentaux est ainsi construite par et à travers les communications « pathologiques » que sa famille entretient avec lui (R. Laing & A. Esterson, L’équilibre mental, la folie et la famille, 1997). Les communications des parents peuvent être si « négatives » avec l’enfant qu’elles « fabriquent » des identités pathologiques c’est-à-dire des maladies mentales.

 

Identité écrasée


Par exemple, les communications du père ou de la mère « castrateurs » sont des communications qui coupent toutes velléités d’actes autonomes chez l’enfant. Tout essai d’indépendance de l’enfant est détruit, critiqué et écrasé par des remarques négatives, des interdictions, des menaces de rejet affectif... « La mère castratrice cherche à étouffer dans l'œuf toutes les manifestations de virilité de son garçon. Pour peu qu'il ait du caractère, elle lui fera une guerre sans merci pour briser « sa mauvaise tête », pour l'humilier, lui faire honte de lui-même en cultivant en lui un idéal de pureté et de douceur féminines. Elle s'évertuera à le châtrer au moral puisqu'elle ne peut le faire au physique ... » (Louis Laforgue, Psychopathologie de l’échec, 1950).

 

Voici ce qu’écrivait Franck Kafka dans sa fameuse « Lettre à mon père ».  « Cher père, tu m'as demandé un jour pourquoi je prétendais avoir peur de toi. Comme d'habitude. Je ne savais alors quoi te répondre en raison même de la peur que tu m'inspirais... Assis sur ton fauteuil, tu gouvernais le monde. Seule ton opinion était juste, toute autre était folle, excessive, toquée, anormale... Le courage, la décision, la confiance, la joie que j'éprouvais au contact de telle ou telle chose ne résistaient pas quand tu y étais hostile ou que je supposais seulement ton hostilité. Devant toi, j'avais perdu la confiance en moi-même, et assumé en retour un immense sentiment de culpabilité ». Dans l'hiver 1923, à quelques instants de sa mort par tuberculose à 41 ans, Kafka écrivait encore ceci : « Voici deux nuits de suite que je crache du sang ; je pourrai dire que je me suis déchiré moi-même. La menace violente mais vaine que mon père avait coutume de proférer je te déchiquèterai comme un poisson... cette menace se réalise à présent indépendamment de lui-même. »

 

La mère de Julie ne pouvait supporter la vitalité et la spontanéité de sa petite fille. Elle avait des bouffées d’angoisse terrible et elle qualifiait alors Julie de « méchante ou de folle ». Julie s’est alors peu à peu conformée à ses injonctions. Elle est devenue catatonique c’est-à-dire complétement inerte et passive. Sa mère allait la voir chaque jour à l’hôpital. Julie était assise, passive, tandis que sa mère lui peignait les cheveux, lui poudrait le visage, lui mettait du rouge aux lèvres... Si bien qu’une fois l’ouvrage terminé elle ressemblait à une belle poupée sans vie, ce que sa mère, dans le fond d’elle-même avait toujours voulu qu’elle soi (R. D. Laing, 1971).

 

Nature des interactions parentales


Pour étudier dans le détail comment se construit l’identité dans les échanges parents-enfants, il était nécessaire d’analyser précisément la nature des interactions qui se déroulent alors. L’école de la phénoménologie sociale (Laing) et l’école de Palo Alto (Watzlawick) ont proposé un certain nombre de concepts précisant les injonctions (explicites ou implicites) portées par les différentes interactions possibles. Ces interactions peuvent être de confirmation ou d’invalidation. Les troubles de l’identité sont essentiellement dus aux interactions d’invalidation. Voyons un exemple précis d’un jeu destructeur d’identité à base d’interactions d’invalidation entre une mère et sa fille schizophrénique. Le dialogue ci-après a lieu, en présence du psychiatre, entre Claire, schizophrène hospitalisée depuis cinq ans, et sa mère.

 

La mère 1 : « Malheureusement, nous sommes à l'étroit pour l'instant. Ce que je veux dire, c'est que nous étions habitués à plus de place dans le passé. Comme toi, j'aime avoir de la place, mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur. Et je ne pense pas que ton père et moi puissions jamais avoir une résidence aussi spacieuse que par le passé. Ainsi que je te l'ai dit une fois, en vieillissant, et n'ayant plus les moyens que nous avions, nous ne pouvons plus nous permettre le luxe d'autrefois ».

La Fille 1 : « Bien sûr, mais je ne suis pas obligée d'habiter avec vous, n'est-ce pas ? »

La mère 2 : « Non, le problème, Claire, tu vois, c'est que, même si tu habitais dans un foyer, tu serais obligée de te mêler à plus de cinq ou six personnes ».

...

La fille 8 : « Je ne sais pas comment je réagirai maintenant ».

La mère 9 : « Voilà bien le problème, Claire, parce que tu vois c'est vexant pour les autres ; moi, je peux le supporter, et ton père aussi, mais naturellement les autres sentent qu'ils sont de trop, et c'est très gênant ».

La Fille 9 : « Je ne vois pas pourquoi. S'ils se sentent de trop, c'est bien dommage ».

La mère 10 : « Dans un sens, tu as raison, mais le fait est que tu ne peux pas continuer à agir comme cela. On ne vit pas pour soi tout seul » (R.D. Laing, La politique de la famille, 1969).

 

Dans ce dialogue, la mère refuse la manière d'être de sa fille avec des justifications qui tendent à démontrer à celle-ci son incapacité définitive. Elle "invalide" donc sans cesse celle-ci dans l'être qu'elle voudrait être (un être qui a peut être changé et à qui on pourrait redonner une chance en l'intégrant au sein d'une vraie famille aimante, c'est là la demande de « confirmation » de la fille).

 

Les interactions peuvent aussi être des interactions de tangentialisation, de disqualification et de mystification. Une interaction de tangentialisation est une réponse faite à une demande qui ne répond pas tout à fait à cette demande car elle joue sur divers éléments de la demande pour choisir d'en privilégier un seul.

 

Un petit garçon de cinq ans arrive en courant près de sa mère, il tient à la main un gros ver de terre et dit : « Maman, regarde le beau gros ver que j'ai attrapé. » Elle répond : « Tu es dégoûtant. Va te laver tout de suite. » La réaction de la mère à l'égard de l'enfant est un exemple de ce que l’on appelle une réaction tangentielle. Les critères qui caractérisent les réactions tangentielles peuvent être résumés comme suit :

- la réponse ne correspond pas exactement à la déclaration initiale.

- la réponse a un effet frustrant,

- la réponse ne recoupe pas l'intention de la déclaration originale, telle qu'elle se dégage des paroles, des actes et du contexte de la situation. La réponse souligne un aspect accessoire de cette déclaration.

 

Du point de vue du sentiment qu'éprouve l'enfant, la réaction de la mère est, en quelque sorte, tangentielle. Elle ne dit pas : « Oh oui, quel joli ver ». Elle ne dit pas : « Quel ignoble ver, tu ne dois pas toucher les vers comme ça ; jette-le. » Elle n'exprime ni plaisir ni horreur, ni qu'elle approuve ou désapprouve le ver, mais elle réagit en attirant l'attention sur une chose à laquelle il n'a pas songé et qui n'a aucune importance immédiate à ses yeux, à savoir s'il est propre ou sale. Elle pourrait dire aussi : « Je n'ai aucune envie de regarder ce ver avant que tu sois propre », ou : « Cela m'est bien égal que tu aies trouvé un ver ou non, tout ce qui compte pour moi, c'est si tu es propre ou sale, et je ne t'aime que quand tu es propre...Cette réaction tangentielle montre l'incapacité de souscrire à ce que fait l'enfant de son point de vue, à savoir montrer un ver à sa maman. » (R.D. Laing, Soi et les autres, 1961).  

 

Une interaction de disqualification est une réponse où la demande faite est transformée par le répondant qui met en avant ses propres désirs parce qu'il ne prend pas en compte le contexte et les indices communicatifs et que le contenu de sa réponse est incompatible avec ces éléments (C.E. Sluzki, J. Beavin, A. Tarnopolsky, E. Véron, Disqualification transactionnelle : recherche sur la double contrainte, in P. Watzlawick & J. Weakland (sous la dir. de), Sur l'interaction, Seuil, 1981).

 

À son fils que l'on tourmentait en classe et qui suppliait qu'on le retirât de l'école, son père répondit : « Je sais que tu n'as pas vraiment envie de t'en aller : mon fils ne saurait être un lâche ». « Quelqu'un qui est exposé à ce genre d'attributions éprouvera des difficultés à connaître ses intentions ou ses sentiments, à moins d'être sûr de son fait. Sinon, il se peut qu'il ne sache plus s'il éprouve tel ou tel sentiment, ou comment définir ce qu'il fait. » (R.D. Laing, Soi et les autres ).

 

Une interaction de mystification est une réponse faite à une proposition qui fait croire à celui qui a fait cette dernière proposition qu'il a dit des choses qu'il n'a pas dites.

 

Stephen perdit toute notion de ce qu'étaient ses mobiles et ses intentions pendant une période de sa vie où il vécut avec sa mère devenue « paranoïde ». Elle introduisait des mobiles et des intentions dans des actes qui, pour lui, ne les comportaient nullement au départ. Finalement, ses « propres » mobiles et intentions se trouvèrent mêlés à ceux qu'on lui attribuait. S'il se faisait une coupure au doigt, il savait que sa mère dirait qu'il l'avait fait exprès pour la rendre malade et, sachant qu'elle allait l'interpréter ainsi, il était amené à se demander s'il n'en avait pas eu réellement l'intention. Dès lors il ne put plus s'empêcher de douter de ses « mobiles », ne serait-ce que quand il avait mis une cravate qui lui plaisait mais qui « contrariait » sa mère. « Tu l'as mise pour me contrarier -tu sais que je n'aime pas ce genre de cravates » ( R.D. Laing, op. cit., 1971).

 

Communications implicites


Laing conclut ses observations faites sur les enfants malades mentaux en affirmant que ce qui est dit explicitement à l’enfant par ses parents compte moins que ce qui lui est suggéré d’être à travers les attitudes et les manières de se comporter avec lui qu’ils développent. Les signaux paralinguistiques et relationnels qui sont envoyés à l’enfant ne lui « disent » pas d’être de telle ou telle manière, ils le « définissent » comme étant de telle ou telle manière. L’enfant apprend qu’il est comme on le lui dit et comment être de cette manière dans sa famille. Laing compare cette façon cachée de communiquer à de la suggestion hypnotique (R.D. Laing, La politique de la famille, Stock, 1972).

 

En définitive, nous pouvons dire que les interactions d’invalidation venant des êtres chers génèrent des troubles de l’identité chez l’enfant car elles sont fondamentalement porteuses d’une norme de négation de lui. Elles disent toutes : « tu n’existes pas comme tu voudrais être, mais tu n’existes que par quoi je te définis moi ».

 

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