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Résister à une engueulade


La construction du sens des choses par la pensée

Dans un article précédent j'ai montré comment les significations que l'on donnait aux événements étaient dépendantes des phrases que l'on avait dans la tête lors de l'événement. Si je pense et si je me dis : "cette activité est intolérable car elle signe l'impolitesse de son auteur", je verrai l'activité en question comme intolérable. Cette interprétation des faits et les idées que l'on a dans la tête pour réaliser l'interprétation sont elles-mêmes complètement liées à la situation dans laquelle on se trouve. Cette relation des idées avec la situation est due au fait que la situation contient des règles et des normes sociales que nous reprenons à notre compte. Ainsi, dans le métro, je n'ai pas à être bousculé sans raison, par un autre passager. Dans un tel cas je pense et je me dis : ": "cette bousculade est intolérable car elle signe l'impolitesse de son auteur". Le sens "c'est une impolitesse", c'est moi qui le donne en me disant que c'est une impolitesse. Si je me dis que c'est une impolitesse, c'est parce que dans une telle situation (tranquille dans le métro), la règle sociale veut que les passagers ne se bousculent pas pour rien.

La force de la pensée chez Épictète

Cette force de la pensée dans l'interprétation des faits a été remarquée depuis longtemps. Ainsi, c'est Épictète (philosophe grec stoïcien, 50-125 ap. J.-C.) qui disait :

"Ainsi, lorsque l'esclave d'un voisin casse une coupe, nous sommes aussitôt prêts à dire : "C'est dans les choses qui arrivent". Sache donc lorsque ta coupe sera cassée qu'il faut que tu sois tel que tu étais, quand fut cassée celle d'un autre. Transporte aussi cette règle, même à des faits plus importants. Quelqu'un perd-il son fils ou sa femme ? Il n'est personne qui ne dise : "C'est dans l'ordre humain". Mais quand on fait cette perte soi-même, aussitôt on dit : "Hélas ! Infortuné que je suis". Il faudrait se souvenir de ce que l'on éprouvait à l'annonce du même événement survenu chez les autres" (Epictète, XXVI)

Épictète nous invite donc à sortir de nous-même, à prendre de la hauteur et à regarder l'événement comme si cet événement arrivait à quelqu'un d'autre. C'est alors que nous penserions que ce phénomène est tout à fait banal et qu'il ne doit pas nous mettre en émoi.

La force de la pensée chez Marc Aurèle

C'est Marc Aurèle (121-180, ap. J.-C.) qui reprendra son enseignement en disant :

"Tout ce qui arrive, ou bien arrive de telle sorte que tu peux naturellement le supporter, ou bien que tu ne peux pas naturellement le supporter Si donc il arrive ce que tu peux naturellement supporter, ne maugrée pas ; mais en tant que ce que tu en es naturellement capable, supporte le. Mais, s'il t'arrive ce que tu ne peux pas naturellement supporter, ne maugrée pas, car cela passera en se dissolvant. Souviens toi cependant que tu peux naturellement supporter tout ce que ton opinion est à même de rendre supportable et tolérable, si tu te représentes qu'il est de ton intérêt ou de ton devoir d'en décider ainsi" (Marc Aurèle, X, 3)

On voit bien comment les stoïciens utilisaient la pensée et ce que l'on se dit intérieurement pour donner du sens aux choses extérieures. Pour eux, c'est à partir de ce que l'on se dit que les faits prennent un sens.

Je suis engueulé par mon patron

Mon patron, fort mécontent de l'échec du projet qu'il m'avait confié, me passe un savon dans son bureau. Les éclats de sa voix courroucée s'entendent dans tout l'atelier...

Je suis catastrophé et humilié. J'ai perdu l'estime de mon patron pour un bout de temps. je n'aurai plus de travaux intéressants à faire. Mes collègues vont rigoler dans mon dos. Mon autorité et mes compétences vont être mises à mal. Mes collègues jaloux vont être aux anges... Bref, je prends un grand coup sur la tête et je vais avoir du mal à m'en remettre...

Voilà donc ce que je ressens et ce que je me dis. Je fabrique donc une situation catastrophique à travers ces pensées et je pense sincèrement que la situation -telle que je la vois- est la réalité.

Je réagis à la manière d'Épictète

Si, à la manière d'Épictète, je fais un pas de coté, la situation peut m'apparaître tout autrement. Si cette engueulade était adressée à un de mes collègues, je me dirais : "Encore une colère du patron. Quelles que soient ses raisons, crier ainsi contre mon collègue, qui a certainement fait tout ce qui était en son pouvoir, n'est pas très motivant pour lui et pour tous ceux qui entendent cela. Je me demande même si ce type de réaction est du très bon management...".

Ainsi, donc, je peux m'adresser ce raisonnement. Ces pensées intérieures vont grandement venir à mon secours. Je vais, par exemple, me dire : "Encore une colère du patron. Quelles que soient ses raisons, crier ainsi contre moi qui ait fait ce que je pensais être bien, n'est pas très motivant pour un autre projet que je pourrais prendre. Il est évident que sa colère exprime certainement son dépit car il ne pourra pas se valoriser auprès de ses propres chefs ...".

En me parlant ainsi, le sens : "catastrophe professionnelle et humiliation devant mes collègues", disparaît. L'idée d'avoir "perdu l'estime de mon patron" s'est dissipée. Je ne pense plus à la jalousie de mes collègues, idée que j'avais aussi entièrement construite. Je ne pense pas "avoir pris un coup sur la tête", je pense que mon patron est une homme tendu, colérique et qui ne pratique pas du très bon management. Autrement dit, j'ai construit des significations et, en même temps, une autre situation. Cette situation n'est pas forcément "plus vraie" que la situation catastrophique que j'avais imaginée en premier. Mais cette situation est beaucoup moins stressante pour moi. Elle me permet de beaucoup mieux faire face.

Tout en m'étant mis dans un rôle de spectateur, je peux continuer mon raisonnement : "J'ai intérêt en ce moment à faire le gros dos. Il n'est pas en état de recevoir mes explications. Demain j'irai le voir et on pourra examiner les causes de son mécontentement et trouver des solutions raisonnables...".

Ainsi, en me mettant à distance et en me parlant, ma situation est donc devenue une situation professionnelle banale qui arrive et arrivera tant que mon patron sera un colérique. J'en ai changé le sens à mon avantage.

Je réagis à la manière de Marc Aurèle

À la manière de Marc Aurèle, je vais rendre supportable ce que mon opinion est à même de rendre supportable et tolérable. Je vais faire cela en me représentant ce qu'il est de mon intérêt de décider. Je vais donc formuler une opinion sur la situation et cette opinion va me rendre cette situation supportable. Je me retrouve donc dans le même cas que précédemment. Marc Aurèle parle de se construire une opinion qui va forger une représentation, alors qu'Epictète parlait de se mettre en position d'observateur et de penser comme cet observateur qui dédramatise nécessairement la situation. Mon opinion va donc être ainsi formulée : "Encore une colère du patron. Quelles que soient ses raisons, crier ainsi contre moi qui ait fait ce que je pensais être bien, n'est pas très motivant pour un autre projet que je pourrais prendre. Il est évident que sa colère exprime certainement son dépit car il ne pourra pas se valoriser auprès de ses propres chefs ...". Comme précédemment, le sens de "catastrophe professionnelle et humiliation devant mes collègues" disparaît avec cette nouvelle opinion.

Là aussi, cette situation construite à travers l'opinion que j'ai d'elle n'est pas forcément "plus vraie" que la situation catastrophique que j'avais imaginée en premier. Une opinion en remplace une autre. Mais cette situation est beaucoup moins stressante pour moi. Elle me permet de beaucoup mieux faire face. Ma situation est donc devenue une situation professionnelle banale qui arrive et arrivera tant que je ne saurai pas la gérer par la pensée.

Conclusion

Ce n'est pas du jour au lendemain que vous allez rester impassible devant une engueulade de votre patron et devant toute situation pénible et stressante.

Choisissez de vous mettre en spectateur ou choisissez de vous forger votre propre opinion. Dans ces deux façons de faire, il faut vous parler intérieurement. Il ne faut pas que votre pensée vous échappe et reprenne les formules "prêtes à penser" que les normes sociales ou vos habitudes vous proposent.

Il faut donc être "agile" intellectuellement et résister aux habitudes de penser.J'ai pris ici l'exemple d'une engueulade, mais cela peut s'élargir à toute situation professionnelle ou privée désagréable et stressante. Tout peut devenir maîtrisable pas la parole intérieure, car c'est cette parole qui construit la réalité perçue. Ce qui nous importe le plus, c'est d'ailleurs cette perception car c'est avec elle que nous faisons et non avec "la réalité vraie" parfaitement insaisissable.

Devenir ainsi un stoïcien n'est pas évident. S'extraire d'une situation immédiate pour s'en forger une "opinion" personnelle différente de celle qui nous est imposée par les habitudes, n'est pas facile. .

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