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Technologie digitale et concepts pédagogiques


Comment l’évolution des outils technologiques a-t-elle fait progresser les concepts pédagogiques de la formation digitale ? Y-a-t-il vraiment des nouveaux concepts pédagogiques liés à la digitalisation ? Quel est l'avenir de la digitalisation des formations ? Voilà quelques questions abordées au cours de cette interview d'Alex Mucchielli.

Le journaliste :

Vous vous êtes intéressé très tôt à l’enseignement par les technologies informatiques. « L’enseignement par l’ordinateur », votre "Que-Sais-Je ?", date de 1987.

Comment, de votre point de vue, l’évolution des outils technologiques a-t-elle fait progresser les concepts pédagogiques ?


Alex Mucchielli :

J’ai travaillé autrefois dans la Marine Nationale, elle utilisait déjà, en 1970, des didacticiels de formation dans le cadre de ce qui s'appelait, à l'époque, "l'enseignement par ordinateur". Il y avait déjà une innovation pédagogique intéressante dans ces essais primitifs : le questionnement pour fixer les apprentissages était fait en tenant compte des erreurs les plus courantes des apprenants et des parcours correctifs étaient systématiquement organisés. De nos jours des "parcours individualisés" sont proposés aux apprenants en fonction des notes obtenues aux questionnaires incorporés aux e-learning suivis. Ces parcours individualisés sont désormais monnaie courante dans les formations en ligne. Ce concept de "parcours individualisé" est bien loin des parcours de rattrapage de l'enseignement programmé.

Dans les années 90, par exemple, à l'Université, nous utilisions l'Internet d'une manière primitive : nous envoyions des textes de cours et des exercices aux étudiants en formation continue, lesquels nous renvoyaient les exercices par le même canal. Comme cela était tout à fait insuffisant du point de vue pédagogique, nous faisions des regroupements présentiels le samedi et nous inventions donc, avant la lettre, le fameux "blended learning" qui ne sera théorisé que plus tard en 2005.


Par ailleurs pour pallier les défaillances de notre pédagogie, nous faisions du tutorat téléphonique, avec des horaires fixes et un seul poste téléphonique. Maintenant, les plateformes LMS intègrent, en continu, du e-tutorat, de la gamification (c'est-à-dire du gain de points lors des questionnements pédagogiques) et du social learning (c'est-à-dire la possibilité pour les apprenants d'échanger des expériences entre eux et de commenter leurs apprentissages).


Les concepts de "classe inversée" (ou blended learning), de e-tutorat, de gamification et de social learning, par exemple, ont été développés grâce aux apports des nouveaux outils technologiques. Je pense donc, compte tenu de ces expériences personnelles, que la technique et ses progrès incessants nous ouvrent des portes, nous donnent des idées et nous poussent fortement à innover pédagogiquement.

Le journaliste :

Vous êtes donc plutôt "technophile"..., du moins en ce qui concerne la formation. Mais n'avez vous pas écrit quelque part que ces concepts dont vous parlez ne sont que la reprise sous un habillage moderne d'anciens concepts pédagogiques ?

Alex Mucchielli :

Oui, j'ai écrit cela dans le texte d'une conférence destinée à un public d'enseignants. C'était pour leur montrer que la pédagogie digitale reprenait les bonnes idées de la pédagogie traditionnelle et qu'ils ne devaient pas critiquer cette pédagogie digitale ni en avoir peur. Mais je forçais le trait. Si, pour la plupart, les concepts de la pédagogie digitale ont des origines classiques, ces concepts sont beaucoup plus performants que les anciens.

Par exemple, dans le serious game, on retrouve les idées anciennes de la pédagogie par le jeu, les idées anciennes de l'apprentissage par la simulation de la résolution de situations-problèmes, les idées anciennes des "bons points gagnés", les idées anciennes d'adaptation de la leçon aux compétences acquises de l'apprenant... Mais le concepts de serious game combine et englobe ces idées classiques. C'est ce qui fait sa plus grande force et sa plus grande performance.


Si je considère le blended learning, on peut me dire qu'il s'agit là de la reprise de l'idée classique de faire comprendre une théorie et, ensuite de faire faire des exercices pratiques d'application. Mais si on regarde bien le concept du blended learning on voit qu'il est plus sophistiqué que la simple mise en œuvre de la séquence pédagogique : théorie d'abord / applications ensuite, liée à une sorte d'apprentissage par la mise en pratique. Les étapes de la formation en blended learning (formation "mixte" avec du distanciel et du présentiel), font référence et intègrent les différents "processus cognitifs" de Bloom liés à diverses formes d'apprentissage.

A l'étape 1, étape distancielle, la préparation e-learning donne les concepts et la théorie : on mémorise et on comprend (on notera la présence à cette étape du formateur qui fait du e-tutorat, gère le social learning et suit les navigations).


A l'étape 2, en présentiel, le travail collectif sous la direction de l'animateur-pédagogue fait analyser et évaluer.


Puis, à l'étape 3, les travaux en petits groupes permettent d'appliquer les connaissances acquise et de créer des projets avec elles, c'est-à-dire de les intégrer en tant que compétences.


J'ajoute que, très souvent, il y a une 4ème étape qui permet aux apprenants de retourner sur les e-learning vus au début pour se perfectionner et comprendre encore mieux.

Les "processus cognitifs" de Bloom

Le journaliste :

Au vu de toutes ces avancées et performances que vous annoncez et qui, tout de même, doivent être connues des enseignants et des formateurs, pourquoi, d'après vous, y-a-t-il encore tant de résistance à l'utilisation des diverses formes du e-learning dans les Universités et même dans les entreprises ?


Alex Mucchielli :

Il y a, tout à fait classiquement, des raisons culturelles liées aux habitudes et des raisons individuelles liées à la peur du changement.

En résumé, on peut dire que cela se passe ainsi parce que cela bouleverse les activités habituelles des enseignants et des formateurs, l'idée qu'ils se font de leur rôle. Certains enseignants ou formateurs réagissent mal à cette évolution car ils ne voient pas comment ils pourraient transformer le rôle dans lequel ils sont ancrés.


Lorsque je participe à des salons pour présenter le serious game: "Les nouvelles aventures de Sindbad", il y a toujours plusieurs consultants qui viennent me poser la même question critique : « mais comment peut-on se passer de la présence humaine dans la formation ? ». Cela révèle bien qu'ils ne savent pas que dans les e-learning et dans les serious game, la "présence humaine" passe par d'autres formes que la présence physique. Cela passe par du e-tutorat, par de la gamification, par du social learning et surtout par du blended learning. Il y a donc un attachement à la forme présentielle et au rôle traditionnel de celui qui dispense le savoir. Je le perçois aussi lorsque je regarde les appels d’offres de formation, par exemple celles de beaucoup de collectivités territoriales, qui sont de l’ancienne école. Je lis dans leurs demandes : « formation sur la base de l’enseignement en face-à-face : 7 heures ». La formation à distance ou le blended learning ne sont même pas envisagés.

A l'inverse de cela il faut aussi dire que pendant que toute une partie des enseignants, des formateurs et des éducateurs s'accroche à la vieille idée, dite de bon sens que : "sans relations humaines directes, il ne peut pas y avoir de pédagogie valable et performante" ; pendant que toute une partie du monde de l'éducation ricane à l'évocation des e-learning, du blended learning, des MOCC, des serious games, de la gamification, des LMS avancés... et attend que cette mode se passe ("tout cela finira au placard, comme tant d'innovations techniques") ; pendant tout ce temps là, il y a des formateurs qui ont compris le nouveau rôle qui s'offre à eux. Je le sais précisément car je participe à leur formation. Ils se forment à la pédagogie digitale, au maniement des logiciels auteurs, ils expérimentent le blended learning et les Académies numériques d'entreprise et renouvellent en profondeur la formation professionnelle. Ils sont d'autant plus actifs qu'ils croient sincèrement que les nouvelles formes d'apprentissage, portées par les technologies informatiques, sont l'avenir de leur métier.

En ce qui concerne l’Université, il y a certes la résistance classique et culturelle des enseignants, mais il y a aussi un problème de moyens et de réglementation. L’Université est largement paupérisée. Elle fournit un enseignement de masse avec des moyens archaïques : cours d'amphi à 800 étudiants et T.P. à 40 entassés dans une salle pour 30 personnes... Disposer d'un service informatique dédié à l'enseignement et non plus uniquement à l'administration, disposer d'une plateforme performante et d'une équipe de maintenance, disposer de logiciels auteur et de studios d'enregistrement..., tout ceci coûte trop cher. Par ailleurs et aussi, participer à des cours en ligne : les concevoir, les réaliser, les suivre et les animer..., ne fait pas partie du service statutaire des enseignants. Rien n'est prévu pour cela.

Les Grandes Écoles, à l’inverse, ont les moyens et sont plus ouvertes. Elles intègrent les nouvelles technologies par nécessité car elles se situent dans un univers très compétitif et doivent tenir leur rang et affirmer leur notoriété. Quand l’HEC organise un MOOC avec Edgar Morin en tête d’affiche, sur "la décision en situation complexe", ce sont des milliers d’étudiants qui suivent le cours via leur plateforme. Cela sert sa notoriété. L’ESSEC, par exemple encore, a un cours intitulé « Knowledge Study », qui est basé sur le principe d’ « apprendre en faisant ». Ils travaillent en petits groupes de 3, 4 sur la conception d’un e-learning directement élaboré par les élèves. Il y a d’autres Grandes Écoles (et même quelques rares Universités) qui ont développé le concept de MOOC, avec une certification à la fin. Le diplôme est toujours important pour la motivation.

En fait, il y a donc actuellement deux écoles : les gens qui croient à l’avenir des nouvelles formes d'apprentissage utilisant les NTIC et les tenants du présentiel, pour qui c’est la relation qui compte fondamentalement dans tout apprentissage. L'évolution va se faire très très lentement.

De mon point de vue, viendra un jour lointain où tout le monde sera passé à l'utilisation des différentes formes de l'enseignement digitalisé. Et il est fort probable qu'alors la technologie et l'utilisation maîtrisée de l'intelligence artificielle nous aura apporté d'autres concepts pédagogiques performants comme les MMORPG dont on parle actuellement (jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs ; en anglais : Massively Multiplayer Online Role-Playing Game[]).

Le journaliste :

Ainsi vous pensez donc que l'aventure n'est pas finie et vous pressentez plutôt une issue heureuse. Je vous remercie pour cet entretien.

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