Le Serious Game : modalité d'apprentissage du 21ème siècle

1- Les "bonnes manières" d'apprendre ont changé
Les manières d'apprendre de la génération montante n'ont plus rien de commun avec les anciennes façons. Il n'est plus question :
de se concentrer sur un texte écrit pour le mémoriser,
de le lire avec attention pour en comprendre le sens profond, voire caché,
d'essayer de recomposer un raisonnement logique à partir d'une discussion foisonnante pour arriver à une conclusion forte...
Tout ceci relève d'une manière de penser linéaire qui n'a plus cours. La méthode de Descartes, qui voulait que l'on décompose en petites parties tout élément complexe, pour ensuite, le recomposer logiquement et comprendre la totalité, n'est plus de mise. Elle est trop longue et rationnelle.
2- Une nouvelle grammaire pour construire le sens
Les nouvelles générations -et la plupart des utilisateurs d'internet- fabriquent du sens tout à fait autrement, car leur pensée relève d'une autre grammaire. Ils comprennent à partir de l'intuition d'une totalité multiforme qui s'offre à eux globalement. Leurs yeux parcours rapidement des textes mis en regard pendant que leurs oreilles écoutent un commentaire décalé ou de la musique et que leur main fait apparaitre d'autres morceaux de textes et des images associées... Il débouchent ainsi, selon, Baricco, sur un type de savoir différent, "ni meilleur ni pire que l'ancien" (Alessadro Baricco, Les barbares. Essai sur la mutation, Gallimard, 2014).
3- Le cerveau n'apprend pas la complexité avec le langage et la pensée linéaire
Je mettrais les analyses de Baricco en relation avec les découvertes récentes des cogniticiens concernant nos pensées et concernant le fonctionnement du cerveau (Anil Seth, 3 minutes pour comprendre les 50 plus grands mécanismes du cerveau, Le courrier du Livre, 2014). Les cogniticiens, d'une certaine manière, valident totalement les nouvelles manières de faire pour comprendre des générations montantes et des net surfeurs. Elles seraient plus en adéquation avec les capacités naturelles du cerveau.
Tout d'abord il y a, disent-ils, des pensées qui ne sont pas verbalisables. Pour eux, le langage, n'est plus la seule fonction cognitive supérieure et, en tout cas, ce n'est pas celle qui est fondamentalement mise en œuvre dans la complexité de la vie quotidienne. Nos réflexions peuvent passer par des images et des sensations diverses qui se coagulent dans des "formes" qui sont des sortes de pensées globales multimédia. Or, toutes les expériences le montrent, "notre cerveau excelle dans la reconnaissance des formes, sa pensée analogique est beaucoup plus performante que sa réflexion formelle".

La reconnaissance des formes
"Théorie de la Forme", Guillaume, 1950.
Par ailleurs, les cogniticiens, découvrant les potentialités et le fonctionnement du cerveau, font remarquer que le cerveau a des aptitudes pour traiter et aime traiter, de nombreuses tâches en même temps. Ils soulignent les fonctions "modulaires" de ce cerveau qui utilise naturellement des circuits et des fonctions indépendantes pour traiter simultanément de nombreuses informations.
4- Le serious game sollicite des mécanismes cérébraux plus performants
La réalité décrite par Baricco et les expériences des cogniticiens nous mènent à considérer le jeu d'apprentissage (serious game), comme un des moyens modernes très approprié pour faire passer des apprentissages :
le jeu, présent dans le serious game, fait appel à une pensée intuitive qui ne passe pas par une formulation faite avec des mots ;
le serious game offre au joueur-apprenant la possibilité de mettre en œuvre, à tout moment, une pensée analogique intuitive et globale ;
le joueur est en mouvement dans un univers fictionnel, il agit sur les éléments de son environnement, cet environnement est, par ailleurs, un environnement sonore et visuel qui lui fournit les éléments nécessaires à la construction de ses pensées intuitives, globales et multimédia, faites de formes ;
ces formes construites vont rester dans son cerveau et il va les manipuler avec beaucoup plus de dextérité que ses pensées rationnelles et séquentielles. En particulier, il va les solliciter, très rapidement, lorsqu'il y aura la perception immédiate et intuitive d'une analogie de forme entre ce qu'il a appris dans les situations simulées du jeu et la situation problématique réelle qu'il rencontre dans sa réalité professionnelle. Il apprend par les "formes", formes qu'il reconnait intuitivement ;
par ailleurs, les expériences des cogniticiens mettent en évidence que la mémoire spatiale, normalement très développée, est pleinement sollicitée dans le jeu. Une information "spatialisée", c'est-à-dire liée à un cheminement ou à une localisation, est beaucoup mieux retenue qu'une autre. Pour eux, la vision et la kinésie, permettent de traiter et d'engranger beaucoup plus d'informations que la seule mémoire langagière. D'où les performances des cartes mentales et de la spatialisation des savoirs, d'ailleurs utilisée par tous les calculateurs prodiges. Dans un serious game, l'apprentissage à faire est toujours lié à une scène et à une action dans un lieu. Vision et kinésie sont donc à l'œuvre. L'apprentissage sera mieux intégré.
Ainsi, le serious game permet au joueur-apprenant, de développer une autre sorte d'apprentissage ne passant pas par la verbalisation et la rationalisation et faisant intervenit d'autres modes d'intelligence.
5- Le serious game procure du plaisir dans l'apprentissage
Le serious game, comme les jeux de rôles de formation d'ailleurs, exige donc du joueur-apprenant qu'il traite de nombreuses informations en même temps :
qu'est-ce qui vient de se passer ?
quelle a été la précédente réaction des autres à mon intervention ?
quelle est la nouvelle situation ?
qu'a-t-elle de différent d'avec la précédente ?
qu'est-ce qui peut se passer compte tenu de ce qui s'est passé avant ?
qu'est-ce que je dois jouer ?
comment puis-je atteindre le meilleur résultat... ?
Non seulement le cerveau "aime" cela, comme nous l'avons vu, mais les cogniticiens nous signalent quelque chose de plus : sous l'effet de ce travail et de cette implication demandée, le cerveau libère de la dopamine.
La dopamine est une substance chimique qui joue un rôle complexe et intervient notamment dans la motivation et dans la mémorisation. C'est par ailleurs un neurotransmetteur liée au plaisir. Les jeux, et donc le serious game, stimulent la libération de cette substance chimique associée au plaisir. Le serious game est donc un moyen de pousser les gens à apprendre en leur procurant du plaisir.
6- Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire que le serious game est une formidable innovation pour la formation professionnelle.
Il déclenche des mécanismes cérébraux qui facilitent les apprentissages et leur mise en œuvre à travers la reconnaissance de "formes".
Il sollicite des processus cognitifs participant à des formes d'intelligence multiple.
Il est particulièrement adapté aux nouvelles générations qui ne peuvent plus apprendre linéairement comme autrefois.
Il procure des émotions et du plaisir qui relancent naturellement le goût d'apprendre.